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Appel
Date limite de soumission : mardi 15 juin 2021
Coordinateurs du numéro
Raphaël Gallien gallien chez gmail.com, historien, Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (UMR 245), Université de Paris.
Didier Nativel Nativel chez univ-paris-diderot.fr, historien, Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (UMR 245), Université de Paris.
À l’heure où s’impose progressivement l’idée d’une « One Health » et alors que la notion de « santé globale » motive depuis plusieurs années désormais les politiques d’investissement de santé dans les « Suds » (Giles-Vernick & Webb, 2013 ; Baxerres & Eboko, 2019 ; Eboko, 2020), ce dossier souhaite interroger sur la longue durée ces développements dans le sud-ouest de l’océan Indien. L’objectif de ce numéro consiste ainsi à la fois à revenir sur les réalités contemporaines des politiques de santé dans ces régions et à comprendre comment ces politiques se sont constituées et ont été appréhendées par les populations, à différentes échelles, entre local et global, sur la longue durée. L’enjeu consistera ainsi à interroger l’empreinte quotidienne de l’enchevêtrement des historicités et des cultures médicales qui se rencontrent souvent, s’opposent parfois mais se superposent rarement.
Domaine réservé dans un premier temps à des médecins soucieux de valoriser leurs pratiques (M’Bokolo, 1984), les historiens vont revenir à partir des années 1980 sur l’enjeu qu’a constitué la médecine coloniale et souligner la place des politiques de santé dans le développement des politiques impériales et coloniales. Au-delà de strictes considérations médicales, la maladie est alors le moyen d’interroger le rôle du savoir médical dans la construction du pouvoir colonial (Patterson, 1974 ; Dawson, 1987 ; Marks & Andersson, 1987 ; Packard et al., 1989 ; Packard, 1989). En 1991, dans un ouvrage aujourd’hui classique, Megan Vaughan démontrait ainsi comment l’élaboration d’un discours médical aux Afriques participe à la construction de la figure de « l’Africain » perçu comme pathologique dans son essence, objet de connaissance bien plus que sujet (Meghan, 1991). Les constatations des médecins rejoignent alors un savoir ethnographique sur lequel s’appuie les entreprises coloniales (Sibeud & Piriou, 1997 ; Sibeud, 2002). Progressivement, les historiens mettent à jour la complexité de ces développements qui ne sont jamais synonyme d’une polarisation abstraite entre colonisateurs et colonisés, mais des enchevêtrements toujours complexes en fonction des territoires, des temporalités et des acteurs (Hunt, 1999). L’image d’une Afrique simple récipiendaire d’expériences issues d’un préalable européen se brouille et oblige à repenser les développements de la médecine comme une dialectique de façonnement mutuel (Anderson, 1998). Dès lors, les recherches sont de plus en plus attentives aux différents registres de soin, et notamment à la place des mondes de l’invisible dans les itinéraires thérapeutiques (Rosny, 1992 ; Geschiere, 1995, 2013 ; Bernault & Tonda, 2000 ; Tonda, 2002). Au même moment, les anthropologues se donnent eux aussi pour tâche d’étudier « l’arène » (Olivier de Sardan, 1995) que constitue la santé, entendue comme fait social total (Mauss, 1923-1924), afin de révéler les rapports de pouvoir qui jalonnent sa construction et sa gestion, en prenant en compte les diverses imbrications politiques, économiques, religieuses qui donnent corpsà la personne malade et à l’institutionnalisation de ses troubles (Augé & Herzlich, 1984 ; Augé, 1986 ; Laplantine, 1989 ; Fassin, 2000 ; Hours, 2001).
Face à ces questions, les régions du sud-ouest de l’océan Indien occupent une place importante et concentrent nombre d’observations et de théorisations. Madagascar, notamment, occupe une place de choix. Très tôt les autorités missionnaires puis coloniales y développent une politique de santé inédite. En 1896, l’île est ainsi le premier territoire où est mise en place l’Assistance Médicale Indigène (Randrianasolo, 1975 ; Merlin et al., 2003). La même année une école de médecine à destination des malgaches est ouverte par le colonisateur dans la capitale (Mestre, 1999). Il s’agit avant tout de discréditer le savoir local en matière de santé au profit de la rationalité biomédicale européenne (Burguet, 2017). Avec l’ouverture de l’Institut Pasteur en 1901, la lutte contre les épidémies – et en premier lieu la variole – connait des progrès considérables (Merlin et al., 2003). En 1912, le premier asile d’aliénés répondant de la législation de juin 1838 dans les colonies françaises est ouvert à quelques kilomètres de la capitale (Gallien, 2019). Ces installations, certes novatrices, succèdent à une présence missionnaire déjà ancienne, notamment portée par la London Missionary Societydès la première moitié du XIXesiècle et surtout à partir des années 1860 (Anderson, 2017). Les élites malgaches n’ont par ailleurs pas attendue l’arrivée européenne pour lutter contre les maladies. Dès le XVIIIesiècle au moins, la lutte contre les épidémies, notamment varioliques et paludiques, est inscrite dans les codes de loi, tandis que les premières tentatives de vaccination contre la variole sont mises en place par la monarchie Merina dès 1804 (Jourde, 1991). Loin d’être résolus par l’arrivée française, ces enjeux épidémiologiques se cristallisent avec la colonisation, notamment autour de la peste qui devient un enjeu tout autant politique que sanitaire (Esoavelomandroso, 1981). Les autres territoires de la région ne sont pas en reste pour autant. En 1991, l’historien John Iliffe soulignait l’importance des développements biomédicaux à partir des années 1870 en Afrique de l’Est dans la construction des identités (Iliffe, 1991). Des territoires comme les Mascareignes ont eux-aussi concentré les approches d’anthropologues soucieux de comprendre l’effectivité d’un pluralisme thérapeutique et la complexité des itinéraires de soins (Benoist, 1993, 1996 ; Gerbeau, 2000 ; Salle-Essoo, 2011 ; Gaüzère & Aubry, 2012 ; Pourchez, 2014). Pour l’ensemble de ces espaces, qu’il s’agisse des épidémies (Fuma & Chan Low, 2008), d’affections aigues ou chroniques (Andoche, 1988 ; Mestre 1999, 2001 ; Rakotomala et al., 2003 ; Blanchy et al., 2006 ; Burguet, 2014 ; Legrip-Randriambelo, 2014 ; Didier, 2015), de la maternité (Pourchez, 2002, 2020 ; Pourette et al., 2018), de la sexualité (Rakotomalala, 2012), de la dégénérescence (Enjolras, 2005) ou encore de la souffrance mentale (Sharp, 1993 ; Gallien, 2020), tous les auteurs insistent sur les « transactions » (Bernault, 2019) à l’œuvre entre les différents modèles de soin, dans la gestion des personnes malades comme dans les représentations de la maladie.
Ce dossier souhaite prolonger ces développements en se concentrant sur l’historicité de ces questions afin de questionner ledevenir du passé en fonction des époques et des localités. Faire rencontrer l’histoire et l’anthropologie sur ces questions signifie ainsi déconstruire les chronologies afin d’identifier les « fragments » (Hunt, 1999) précoloniaux, coloniaux, postcoloniaux qui jalonnent les époques et viennent brouiller les chronologies conventionnelles pour ainsi faire de la santé un révélateur des structures d’une société tout en mettant à jour la complexité des instances du social. Ce numéro se veut donc à la fois attentif aux cadres théoriques ou socio-politiques dans lesquels s’inscrivent les personnes malades, qu’à la somme des pratiques et matérialités souvent marginalisées qui façonnent un itinéraire de soin et sur lesquelles ont insisté ces dernières années les études du Care(Gilligan, 1982 ; Abel et al., 1991 ; Tronto, 1993, 2013). Nous souhaitons ici revenir sur ce que signifie « vivre avec le trouble » (Haraway, 2016) au quotidien dans l’océan Indien occidental face aux transformations des systèmes de santé, d’abord à travers la présence missionnaire, puis la colonisation, avant l’instauration des politiques d’ajustement structurel et, plus récemment, de la globalisation des normes de santé. Comment ces héritages se rencontrent, se superposent ou s’opposent et viennent façonner une économie mixte de soin ? Si la santé peut être lue comme une « économie de la promesse » (Sunder-Rajan, 2006), comment cette promesse est-elle sans cesse renouvelée ? Et à partir de quels modèles ? La « modernité évanouie » (Lachenal, 2013) qu’a été la colonisation n’est-elle pas finalement qu’une énième promesse déchue sans cesse rejouée jusqu’à nos jours et avant cela par les ambitions missionnaires ? Comment ces promesses se renouvellent-elles ? Et pour quelles transformations ? Devant la multiplication des acteurs de santé, couplée à un désinvestissement croissant de l’État et à une nostalgie de la médecine coloniale qui continue de structurer en partie modèles et horizons institutionnels (Kamat, 2008 ; Piot, 2010 ; Geissler & Molyneux, 2011 ; Lachenal, 2017), quels réseaux, anciens ou plus modernes, structurent cette économie et comment s’actualisent dans le sud-ouest de l’océan Indien ces héritages ? Une attention particulière sera portée aux institutions biomédicales (hôpitaux, léproseries, dispensaires, maternités, institutions psychiatriques…) initialement marqueurs de l’imposition coloniale, devenus progressivement lieux de cristallisation d’enjeux médicaux, politiques et économiques qui continuent aujourd’hui encore de concentrer investissements et normes en matière de santé (Chabrol & Kehr, 2018). Comment les anciennes institutions coloniales continuent-elles d’être investies ou, à l’inverse, ne sont-elles aujourd’hui plus que les vestiges d’anciens systèmes de santé à bout de souffle ? Quelles rencontres et quels échanges entre ces différentes institutions ? Constituent-elles un archipel du soin ? Si oui, à destination de quelles personnes et pour quelle efficacité ? Quelle place pour les tradipraticiens dans ces modèles alors que ces derniers restent bien souvent le premier recours ? Dans le cas de la santé mentale, que signifie « vivre-fou » alors que se mondialisent les politiques de santé mentale à partir de critères, et donc de normes, présentées comme universelles (White et al., 2017) ? Sur quelles coordonnées historiques et géographiques s’appuient cette universalisation du trouble et pour quels effets dans l’océan Indien ? Des questions similaires peuvent être posées face à certaines maladies chroniques ou aux cancers : ont-ils « l’occasion d’exister » (Livingstone, 2012) en contexte indianocéanique ? La maternité également se révèle être un lieu privilégier pour interroger l’épaisseur du social et la rencontre entre représentations familiales, institutions médicales et politiques de santé : que signifie dès lors « être mère » (Hugon, 2020) en fonction des époques ? Que vient nous dire cet évènement de vie lorsqu’il est interrogé comme un espace variable de rencontre, un toposde la colonisation puis des mondes postcoloniaux jusqu’au plus contemporain ? Dans quelle mesure les concepts de « naissance », de « famille », de « maternité » ont-ils pu évoluer et se transformer en fonction des époques et des géographies, au grès de pathologisations de certains comportements et de valorisations d’autres ?
Autant de questions volontairement larges et transversales pour offrir un bilan épistémologique actualisé de ces questions dans ces espaces afin de faire se rencontrer l’actualité de ces recherches qui restent bien souvent micro-localisées et dialoguent rarement. Sensible à des travaux proposant une lecture comparative, ce dossier se veut transdisciplinaire. Les propositions d’articles pourront donc venir de toutes les disciplines des sciences humaines (histoire, anthropologie, économie, démographie…) à partir d’études multi-situées ou plus strictement localisées dans l’océan Indien occidental (Madagascar, île de la Réunion, île Maurice, Seychelles, Comores, Mayotte, Zanzibar) ou d’espaces frontaliers de ces régions (Afrique du Sud, Mozambique, Tanzanie, Kenya, Sri Lanka notamment). Les travaux d’historiens sur ce sujet, particulièrement restreints en comparaison de ceux des anthropologues, seront particulièrement appréciés. Pour laisser une grande marge de liberté aux auteurs, les articles pourront faire entre 20 000 et 40 000 signes. Les normes d’édition seront transmises après validation des propositions. Sans que cela soit exclusif, les propositions pourront notamment être articulées autour de l’un ou de plusieurs des axes suivants :
« Vivre avec le trouble » : entre marginalisations sociales et implications médicales
Qu’est-ce que signifie vivre avec le trouble dans le sud-ouest de l’océan Indien en fonction des époques ? Ici, c’est sur le « vivre » que nous souhaitons insister bien plus que sur le « trouble » alors que la plupart des personnes une fois étiquetées « malades » se retrouvent condamnées à la stigmatisation sociale, même une fois rétablies. Quelles transformations de ces stigmatisations en fonction des acteurs de santé (tradipraticiens, missionnaires, médecins coloniaux, experts…) ? Que signifie l’hospitalisation ou l’internement alors qu’initialement le malade restait cantonné au quartier ou au village ? Quelles places pour l’institutionnalisation religieuse du trouble, notamment face au développement des monothéismes anciens ou plus récents ? Que signifie dès lors la maladie au quotidien et comment se l’approprie-t-on ? Comment sont prises en charge les personnes au-delà du diagnostic et des représentations qui sont associés au trouble ? Quel hiatus entre guérison biologique et guérison sociale ? Quelle place pour le sujet, dans toute sa subjectivité et sa singularité, face à l’étiquette du diagnostic et l’objectivation qui en découle ? Comment la personne malade parvient-elle à négocier sa trajectoire de vie face à la pluralité des institutions de santé, qu’elles soient biomédicales ou dites « traditionnelles », ou face à des considérations plus strictement socio-économiques ?
De l’expiation missionnaire à la Global Health : que signifie « policer » la maladie ?
Cet axe souhaite remettre en question la linéarité des développements en termes de santé dans l’océan Indien. Dans les « Suds », l’enjeu médical se concentre bien souvent avant tout sur la gestion des populations et la transmission d’agent infectieux épidémiques. Les campagnes de vaccination par exemple ou, plus récemment, l’élaboration d’une génétique des populations, appréhendent les individus comme un nouveau corps social plus ou moins homogène construit en fonction des cibles et priorités de l’ingénierie médicale. Quelle place est dès lors attribuée au sujet dans ces politiques de santé ? Comment les personnes sont-elles associées à ces politiques ? Quelle place pour le soin vis-à-vis d’impératifs plus strictement médicaux ? Quelles inégalités hommes-femmes face à ces politiques ? Ces inégalités sont-elles prises en considération ? Ce deuxième point pourra être également l’occasion de réfléchir aux interactions Nord-Sud et à la pertinence d’une telle dichotomie afin de revisiter les dominations à l’œuvre dans le développement des politiques de santé à l’heure où de plus en plus de travaux interrogent les liens « Sud-Sud » et l’importance des échanges inter-régionaux.
Conduites préventives et inégalités sociales
La pandémie de la Covid-19 a contraint une large partie de la population à des mesures de prophylaxie qui viennent transformer le quotidien. Ce troisième axe propose d’interroger la réalité et les conséquences de telles injections préventives au sein de la population. Pour exemple, à Tamatave, en juin 2020, les annonces du confinement se soldent par des affrontements entre population locale et forces de l’ordre. Ces tensions viennent en réalité dévoiler les conditions de vie de chacun et les inégalités sociales sous-jacentes, les populations les plus défavorisées étant les premières à subir privations et conséquences du confinement. Ces phénomènes ne sont pourtant pas sans précédent : la lutte contre la peste, par exemple, s’est progressivement transformée à Madagascar en une véritable lutte politique. Les politiques de santé sont alors progressivement perçues comme un élément supplémentaire dans la conquête et la domination du pays. Quelles sont alors les stratégies ou innovations déployées par les personnes face à ces obligations et ces interdits du quotidien ? Quelles normativités pour des politiques initialement calquées sur des modèles socio-économiques des pays du nord ? Que peuvent nous apprendre les expériences des « Suds » en termes de prévention ? Quels héritages historiques dans ces conduites préventives ? Quelle archéologie pour ces régimes prophylactiques dans ces régions ? Il s’agira d’explorer comment les propositions sanitaires ou les injonctions prophylactiques sont appréhendées en fonction des statuts socio-économiques, des périodes ou des modes de vie individuels, et comment s’agglomèrent injonctions contemporaines et héritages plus ou moins anciens.
Comité scientifique
Nancy R. Hunt, historienne, University of Florida, (CAS)
Laurence Pourchez, anthropologue, INALCO (CESSMA)
Dolorès Pourette, anthropologue, Université de Paris, (CEPED)
Faranirina Rajaonah, historienne, Université de Paris (CESSMA)
François Taglioni, géographe, Université de La Réunion (PRODIG)
Calendrier de production
Les propositions d’articles, en français ou en anglais, sont à soumettre par mail à raphael.gallien chez gmail.com et Didier.Nativel chez univ-paris-diderot.fr
avant le 15 juin 2021.
Elles seront accompagnées d’une courte présentation de leur(s) auteur(e)(s) précisant notamment les attaches institutionnelles (4 à 5 lignes maximum).
Les auteur(e)(s) présélectionné(e)(s) par les coordinateurs seront prévenu(e)(s) par mail au plus tard la semaine du 28 juin 2021.
Les premières versions des articles seront attendues pour le 15 octobre 2021.
Chaque proposition sera soumise à une double lecture aveugle auprès du comité scientifique.
La publication est prévue pour le premier semestre 2022.
Page créée le vendredi 19 février 2021, par Webmestre.