Accueil ▷ Actualités ▷ Actualités
Appel
Date limite de soumission : lundi 15 décembre 2025
Appel à contribution pour les journées d’étude organisées les 2 et 3 juin 2026 à Marseille, par Alice Aterianus-Owanga et Sarah Fila-Bakabadio
Cet appel invite à réfléchir aux apports du concept de Méditerranée noire pour explorer les formations identitaires et culturelles se produisant au travers de circulations réelles ou imaginaires entre l’Afrique et l’Europe. Nous définissons la Méditerranée noire comme espace frontière marqué par des inégalités, des processus de racialisation et des (im)mobilités, des dynamiques mémorielles coloniales et postcoloniales, mais aussi comme une matrice de créativité culturelle et identitaire. En partant de l’étude des pratiques artistiques, il s’agira d’examiner la façon dont ce concept peut offrir un renouvellement et un débordement heuristique par rapport aux études sur la blackness, les identités afro-diasporiques, ou les migrations entre Afrique et Europe.
Depuis le milieu des années 2010, une série de publications ont fait émerger un champ de recherche autour d’un nouveau concept : la Méditerranée noire. Nourri par des travaux anglophones sur des pays d’Europe du Sud, et ancré dans la géographie, la littérature ou l’étude des migrations (Di Maio 2014, Smythe 2018, Grimaldi 2019, Hawthorne 2023, Raeymakers 2014, Proglio et al. 2021), ce courant s’est développé à la suite de travaux plus anciens qui démontraient que les identifications et mobilisations afrodiasporiques s’opèrent au travers de mobilités transnationales (Gilroy 1993). Parmi ces travaux se référant à la Méditerranée noire, plusieurs insistent sur la transformation de l’espace maritime en une zone de violence raciale, imposée par des politiques de restriction de l’immigration - à l’instar du programme européen FRONTEX -, et inscrite dans le prolongement d’une plus longue histoire d’exploitation et de capitalisme racial (Proglio et al. 2021 ; Gilroy 2021 ; Raeymakers 2024). D’autres travaux portent sur les expériences des migrants africains ou des afro-descendants en Europe, leurs mobilisations politiques et sociales et leurs productions artistiques et littéraires (Sanchez-Pardo 2011, Ziethen 2019, Di Maio 2021, Murray 2021, Aterianus-Owanga 2024).
Par-delà leurs différences, une grande majorité de ces travaux soulignent l’expérience fragmentée de la citoyenneté et des identités afro-descendantes en Europe (Miano 2020). Ils incitent à penser la fabrique des identités noires en s’écartant des récits à vocation universalisante et centrés « exclusivement sur les géographies de l’esclavage et de la plantation raciste » (Hawthorne, 2023). Ces études produisent une définition duale de la Méditerranée : elle apparaît à la fois comme le théâtre macabre d’une politique de fermeture des frontières et d’exploitation postcoloniale des subjectivités noires, et comme une zone de passage et d’inventivité.
En dialogue avec ces travaux, notre appel propose d’appréhender la Méditerranée noire telle qu’elle est vécue, imaginée et recomposée dans des pratiques artistiques et culturelles qui s’élaborent entre des pays d’Afrique et d’Europe. Nous postulons dans ce projet qu’au-delà d’une réflexion conceptuelle abstraite, la Méditerranée noire se manifeste dans une quantité de phénomènes artistiques et culturels qui s’avèrent particulièrement pertinents pour comprendre l’histoire, les sociétés et la spécificité de cette matrice mémorielle et identitaire transmaritime. Ainsi, lorsque des écrivains africains réimaginent les rapports entre l’Europe et l’Afrique sous l’angle de l’histoire contrefactuelle (Waberi 2008, Ziethen, 2016) ; lorsque des pièces de musée sont mises en boîtes pour rejoindre les terres dont elles ont été dérobées un siècle auparavant (Diop 2024) ; quand des artistes de hip-hop traduisent soniquement les paysages liminaux de l’afropéanité (Niang 2023, Pitts 2024) ; lorsque des mouvements de danse circulent depuis les capitales ivoiriennes, angolaises ou sénégalaises jusqu’aux studios de danse et night-clubs français (Steil 2019 ; Aterianus-Owanga 2024) ; ou encore quand des magazines créés à Paris, Londres, ou Bruxelles redessinent des esthétiques et des utopies afrofuturistes en se nourrissant d’archives panafricaines. La liste des productions qui s’inventent dans des circulations liant l’Afrique et l’Europe pourrait être étendue à loisir. Au-delà de leur hétérogénéité stylistique et des représentations plurielles de l’Afrique, de l’Europe et de la diaspora qu’elles élaborent, ces créations montrent à quel point la Méditerranée noire ne se résume pas à un espace de migrations Sud-Nord. Elle représente plutôt une zone de dialogues réels ou imaginaires et de production culturelle, dont les significations et les enjeux varient selon les espaces où l’on se situe.
Par cet appel, nous invitons les participants à ce colloque à considérer les trajectoires d’artistes, d’amateurs ou d’intermédiaires des mondes de l’art et de la culture comme des entrées propices à saisir ces dimensions plurielles de la Méditerranée noire. Nous les encourageons à observer les pratiques artistiques pour ce qu’elles disent et produisent sur le monde social, tout en questionnant leurs enchevêtrements avec des idéologies politiques, des marchés ou des structures de rapports sociaux.
Parallèlement, nous proposons la notion de débordement comme prisme d’analyse de la Méditerranée noire, et l’entendons dans une double acception.
Le débordement que nous envisageons est, dans un premier sens, épistémologique. Il consiste à réfléchir en dehors des contours dressés par les études aréales et par certaines studies pour saisir des phénomènes, circuits, ou pensées naviguant entre l’Afrique et l’Europe. Ces formations culturelles, artistiques, culturelles ou idéologiques déjouent les frontières géographiques et courent le long des routes maritimes, migratoires, digitales, mémorielles, sonores, se branchent et se débranchent pour dessiner la Méditerranée noire au-delà de ses frontières géographiques.
Cette approche transnationale a été explorée depuis fort longtemps par des historiens ou des anthropologues de la Méditerranée (Lorcin et Sheperd 2016 ; Ben-Yehoyada, Silverstein, 2022 ; Calafat et Grenet 2023), ainsi que par les études des migrations (Glick-Schiller, Basch and Szanton-Blanc 1994 ; Portes, Guarnizo and Landolt 1999 ; Dahinden, 2011 ; D’Angelo 2021). Tout en poursuivant cette approche, il s’agit dans notre projet de mettre l’accent sur des branchements avec l’Afrique qui font exister cette Méditerranée noire, mais qui restent souvent marginalisés. Nous tenons de la sorte à nous écarter de perspectives produites depuis l’Europe qui reconduisent parfois implicitement une représentation de la Méditerranée comme une zone de traversée allant de l’Afrique vers l’Europe, plutôt que comme un ensemble polycentrique traversé de mouvements multidirectionnels.
D’autre part, déborder signifie complémenter les approches théoriques sur la race qui pensent principalement la Méditerranée pour ce qu’elle aurait de noir (Smythe 2018), et ainsi réinterroger la notion de blackness. Cette dernière est devenue un prisme global d’analyse de la condition noire mobilisée par de nombreux acteurs politiques, sociaux et artistiques dans les Amériques et en Europe. Aujourd’hui, des débats sur son opérabilité en dehors d’un contexte anglophone se développent, notamment en Europe (El-Tayeb 2018 ; Williams 2020 ; Cases rebelles 2023 ; Barontini et al. 2023). Certains acteurs des mondes artistiques y participent depuis la Méditerranée : ils la saisissent, la questionnent et la mettent parfois en concurrence avec d’autres notions, comme le panafricanisme et le cosmopolitisme noir, ou avec d’autres registres d’identification comme l’africanité et l’afropéanité. Ces discussions nous enjoignent à déborder une lecture anglophone et états-unienne de la blackness (Marable et Agar-Jones 2008) pour la penser comme un contenant hybride qui prend des significations situées (Clark et Thomas 2009 ; Fouquet et Bazenguissa-Ganga, 2014 ; Wright 2025). Ainsi, ils nous invitent à examiner par qui et dans quels espaces de cette Méditerranée noire la référence à la blackness est mobilisée. Déborder la Méditerranée noire ne pourrait-il pas nous amener à penser en termes d’appartenances afro-méditerranéennes ?
Les deux débordements proposés ici résonnent évidemment avec de précédentes études sur la formation transnationale d’identités afrodiasporiques, et notamment avec l’Atlantique noir de Paul Gilroy (1993). Il ne s’agit pas dans notre démarche de simplement transposer le paradigme du sociologue britannique dans un autre espace, mais d’interroger comment la mer Méditerranée et les échanges qu’elle abrite permettent de repenser ce modèle, occasionnellement critiqué pour sa nature atlantico-centrée et son omission de l’Afrique (Zeleza, 2005 ; Edwards 2001 ; Piot 2001). Par exemple, alors que la mémoire de la Traite, de l’esclavage et de la plantation constitue un marqueur fondamental des formations identitaires décrites par Gilroy, la Méditerranée noire est une matrice infusée par de multiples autres traces et héritages où la mémoire plus ou moins audible de l’esclavage est enchevêtrée, conjuguée ou supplantée par des traces coloniales, des récits de migrations postcoloniales, et par les répercussions des nécropolitiques contemporaines.
Alors qu’une importante littérature sur la Méditerranée noire a été écrite en anglais et porté sur les pays d’Europe du Sud, notre conférence vise à se saisir des apports de ce concept dans d’autres espaces pour l’instant laissés de côté, notamment dans les interstices entre l’Europe et l’Afrique francophones. Il s’agira de documenter comment ces circuits de la Méditerranée noire impliquent des villes européennes et africaines, mais se déploient aussi au travers de branchements à d’autres territoires et mondes sociaux. Pour élargir et décentrer notre compréhension de la Méditerranée noire, nous invitons également les participants à se pencher sur des espaces autres que les grandes métropoles d’Europe occidentale, pour examiner les dynamiques mémorielles et identitaires présentes par exemple dans l’espace anatolien, l’Europe orientale ou le Maghreb. Enfin, les études réunies dans cette conférence pourront servir à appréhender la façon dont la Méditerranée déborde vers l’Atlantique noir mais aussi vers la Manche, la Baltique, l’Océan Pacifique ou l’Océan Indien.
Les contributions pourront être portées par des chercheur.e.s de diverses disciplines (SHS, littératures et arts) et traiter d’études de cas ou de discussions sur les enjeux et défis méthodologiques posés par ces débordements.
Modalités de contribution
Envoyer un résumé d’environ 500 mots à alice.aterianus-owanga chez unine.ch et à sarah.fila-bakabadio chez cyu.fr avant le 15 décembre 2025.
Partenaires
Institut d’ethnologie, Université de Neuchâtel
AGORA, CY Cergy Paris Université
CY Advanced Studies
IMAF
MMSH
CeRCLEs
Comité scientifique
Marie-Aude Fouéré (EHESS, Imaf, CeRCLes)
Thomas Fouquet (CNRS, Imaf)
Aïssatou Mbodj-Pouye (CNRS, Imaf)
Alice Aterianus-Owanga (Université de Neuchâtel, Institut d’ethnologie)
Sarah Fila-Bakabadio (CY Cergy Paris Université)
Colloque
2-3 juin 2026 (Marseille)
Page créée le mercredi 26 novembre 2025, par Webmestre.