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Appel
Date limite de soumission : vendredi 28 novembre 2025
Appel à communications pour un colloque international transdisciplinaire, consacré à l’actualité de l’œuvre de James C. Scott, les 25 et 26 juin 2026, sur le campus Condorcet.
En juillet 2024, nous apprenions le décès de l’anthropologue et politiste états-unien James C. Scott, dont les travaux figurent désormais parmi les classiques des sciences sociales. Ce colloque international propose de réexaminer les propositions et apports théoriques de l’œuvre de James C. Scott, depuis ses débuts en 1968 sur ses terrains d’Asie du Sud-Est jusqu’à son dernier ouvrage In Praise of Floods, publié en 2025 à titre posthume.
Son œuvre se distingue par l’ampleur de ses enquêtes tout comme par la richesse de ses concepts et leur dimension heuristique. Elle participe à jeter un regard nouveau sur des questions classiques des sciences sociales et de l’anarchisme comme celles de la définition de l’État, du politique, ou encore des modes de domination et de résistance à l’autorité.
Lu aussi bien en anthropologie qu’en sociologie, en histoire, en philosophie, ou même en archéologie, James Scott a été pour chacune de ces disciplines une source d’inspiration, tout en suscitant des critiques. À ce titre, Scott incarne un auteur-carrefour à partir duquel un véritable dialogue interdisciplinaire peut s’engager. Ses thèses constituent également des sources d’inspiration au-delà de la sphère académique dans les univers militants que la critique de l’État intéresse.
Ce colloque souhaite s’employer à réactualiser sa pensée en la confrontant à des terrains d’enquête, une démarche encouragée par Scott lui-même de son vivant. Son objectif est d’évaluer les potentialités offertes par la réappropriation de ses concepts ou de ses analyses et de redessiner les contours de leurs champs d’application. Afin d’éviter de verser dans l’exercice mémoriel, sinon hagiographique, ce colloque entend assumer une perspective résolument critique, résonnant avec les approches épistémologiques de l’anarchisme qu’il a participé à développer. Ainsi, certains de ses travaux ont suscité d’importantes controverses qu’il serait intéressant de retracer mais surtout de poursuivre.
Nous encourageons les communications issues de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Les propositions pourront porter sur les apports et les limites des travaux de Scott, soulever de nouveaux points en confrontant les outils d’analyse scottiens à des terrains d’enquête inédits, ou s’intéresser aux controverses qu’a suscité la réception de l’œuvre de Scott, en discutant des usages et interprétations parfois trop lâches qui ont pu être faits de certains concepts.
Axe 1 : Repenser la domination et les résistances par l’infrapolitique et l’économie morale
Contre les analyses en termes d’hégémonie, Scott préfère explorer les stratégies de résistances politiques mises en place par les subalternes pour saper la domination de l’État, des puissants ou des exploiteurs (Scott, 1987 ; 2009).
À travers la notion d’« infrapolitique », Scott met au jour une grammaire d’actes quotidiens réalisée par et entre les subalternes pour résister d’une manière illisible aux yeux des pouvoirs (texte caché), alors qu’ils et elles semblent formellement y consentir (texte public). L’infrapolitique, se distingue ainsi d’autres propositions apparemment proches, formulées en termes de « pré-politique », (Hobsbawm, 2012).
En adaptant le concept d’économie morale (Scott, 1976 ; Thompson, 1988, 2015) au cas des paysans dans les contextes coloniaux Birman et Vietnamien, Scott tente de saisir les systèmes de valeurs qui sont au principe de leur lutte pour le droit à la subsistance. L’économie morale, au sens Scottien, se réfère alors au système de valeurs dessinant le champ de l’acceptable et de l’intolérable et structurant l’expression des résistances feutrées. Si Scott prolonge et enrichit les cadres interprétatifs de Thompson (Fassin, 2009), son modèle tend parfois à réduire cette « culture populaire » à sa simple modalité de résistance (Cerutti, 2015 ; Siméant, 2010).
Les communications s’inscrivant dans cet axe pourront répondre aux questions suivantes :
Comment penser les frontières et les passages entre infrapolitique et politique ? L’analyse en termes d’infrapolitique est-elle réservée aux systèmes fortement stratifiés et répressifs (systèmes de castes, esclavagisme, sociétés autocratiques, etc.) ? De quels outils et méthodes dispose-t-on pour objectiver les résistances infrapolitiques tout en évitant l’écueil du tout-est-politique ?
Axe 2 : L’État, le haut-modernisme et les « barbares »
L’État figure comme un acteur ou plus encore un terrain d’enquête privilégié dans les travaux de Scott. Il entreprend une « histoire profonde » non-statocentrée de l’État (Scott, 2021), ce qui le conduit à identifier le cœur de l’activité étatique dans la mise en lisibilité et la standardisation des populations et de leurs environnements, pour mieux contrôler et prélever leurs productions (taxation, statistiques, conscriptions, etc.). S’il ne souhaite pourtant pas essentialiser le rôle de l’État comme intrinsèquement néfaste, il met l’accent sur l’émergence du haut-modernisme au XXe siècle comme tentative pour les États d’ordonner scientifiquement le « hiéroglyphe social », au moyen d’un arsenal coercitif et au prix d’une violence extrême entraînant la disparition des cultures locales (mētis).
Chez Scott, cette analyse de l’État s’écrit depuis des sociétés non-étatiques qui souhaitent justement fuir son contrôle (Zomia), et qui mettent en place des stratégies d’évitement pour se rendre illisibles. À la différence de Clastres, Scott relève que ces sociétés sont moins anti-étatiques (Clastres, 1974) que dans un rapport de coexistence avec lui. Elles entretiennent ainsi des relations d’interdépendances matérielles avec l’État (razzias, prisonniers, échanges économiques…).
À défaut de disposer d’une théorie générale de l’État chez Scott (M. Mann, 1999), quels sont ses apports aux théories de l’État et de la modernisation politique ? Comment les travaux de Scott permettent-ils de contribuer à penser des situations de crise de l’État (contextes de guerre civile, zones échappant au moins partiellement à son emprise, ou faiblesse plus structurelle des États) ? Comment saisir la dialectique qui s’établit entre les États et les « barbares » pensés comme « effets d’État » ? L’hypothèse d’une période « haut moderniste » est-elle pertinente d’un point de vue historique ? Peut-elle se vérifier empiriquement, et dans quelles limites ? Les communications pourront répondre à ces questions en s’appuyant sur des terrains originaux tout en veillant à dépasser l’opposition binaire entre États et groupes sociaux s’y opposant ou le fuyant.
Axe 3 : Les implications épistémologiques et méthodologiques de l’anarchisme
Scott, qui se découvre relativement tard de la filiation libertaire, ne se revendique pas toutefois « purement » anarchiste (Scott, 2013b). Il ne prétend, d’ailleurs, nullement participer à l’édification d’une doctrine idéologique systématique mais plutôt construire, de façon fragmentaire, un anarchisme de la « praxis » en proposant de poser sur le monde social un « regard anarchiste » (« anarchist squint »).
Chez lui, cela se traduit à la fois par une éthique de la désobéissance quotidienne et par une approche méthodologique et épistémologique singulière. Cette dernière consiste à disséquer les dispositifs d’État et à porter attention aux groupes qui mènent des actions politiques en dehors des formes institutionnelles à haut degré d’organisation. Scott prône ainsi une approche « populiste » et compréhensive des sciences sociales qui s’intéresse à la pensée politique des « non-élites ». Il met également en garde contre le fétichisme des archives écrites, produites par et pour les États, et réhabilite l’étude des sources orales, « plus démocratiques », redonnant aux subalternes leur agency comme véritables acteurs historiques.
Les communications s’inscrivant dans cet axe pourront ainsi interroger l’existence d’une science sociale anarchiste et la place que les travaux de James C. Scott y occupent. Comment son anarchisme épistémologique dialogue-t-il avec les autres sciences sociales ? Qu’implique concrètement pour le chercheur ou la chercheuse de « mettre les lunettes anarchistes » (« seeing like an anarchist ») ? Les communications pourront également discuter les apports et limites d’une anthropologie anarchiste classique qui se concentre sur la critique de l’État au détriment d’autres rapports de domination. Comment les perspectives intersectionnelles peuvent-elles être utilement croisées avec les travaux de Scott ?
Enfin, elles pourront également s’interroger sur la dimension plus politique, voire prescriptive, des travaux de Scott qui défendait l’observation d’une « callisthénie anarchiste », par l’adoption de réflexes quotidiens de désobéissance. Quels positionnements politiques défendait-il et comment ont-ils influé sur ses travaux ? Enfin, qu’est-ce que son parcours peut apporter aux réflexions sur l’engagement politique des chercheur.ses ?
Axe 4 : Écologie de la liberté contre écologie de la domination ?
Dans son triptyque sur les formations étatiques (Scott, 2013a, 2017, 2021), Scott montre comment les États standardisent l’environnement pour rendre le territoire lisible et dominer les populations qui les habitent. Selon lui, l’homogénéisation du territoire est inscrite dans la structure même des organisations étatiques, témoignant de leur « insoutenabilité environnementale et sociale ». Il nous invite ainsi à amorcer « une critique écologique de l’État » (Costa, 2024).
À cette écologie de la domination, il oppose une « écologie de la liberté » (Graeber et Wengrow, 2021) : des modes de subsistance et des rapports sociaux à la nature qui permettent de fuir l’emprise de l’État. Cette « agriculture fugitive », fondée sur des polycultures (cueillette, agriculture sur brûlis, culture de légumineuses, etc.) s’avère plus soutenable que celles des États. Il loue notamment la mētis barbare, soit l’ensemble des savoirs situés et vernaculaires qu’une société se transmet oralement pour s’adapter aux réalités écologiques de son territoire. À partir de cette mētis, Scott élabore notamment une critique de l’urbanisme moderniste dans le sillage des travaux de Jane Jacobs. En se concentrant sur la résistance des particularismes locaux, il permet de repenser la complexité de la ville à partir de ses potentialités en termes d’entraide et de communauté, là où l’urbanisme moderniste apparaît comme profondément antisocial (Scott, 2021). Les communications s’inscrivant dans cet axe pourront chercher à poursuivre ces réflexions.
Par ailleurs, si les États modernes homogénéisent leur territoire jusqu’à l’appauvrir, est-ce le cas des États « pré-modernes » ? Inversement, les sociétés « acéphales » ne peuvent-elles pas désirer certaines formes de mise en lisibilité initialement imposées par l’État (Buitron, 2023) ? Les communications venant renseigner ces rapports seront particulièrement appréciées.
Le rôle central que Scott accorde à l’environnement dans les processus de domination et d’émancipation le conduit par ailleurs à ériger la paysannerie en « premier agent social des révolutions au XXe siècle » en réhabilitant un sujet politique marginalisé par certaines traditions socialistes.
On a toutefois pu lui reprocher sa vision trop homogène de la paysannerie. En fonction des appartenances de classe, de genre, etc., au sein de la paysannerie, peut-on identifier des rapports différents aux modes de subsistance et à l’écologie ? En veillant à prendre en compte la diversité des stratégies paysannes, au-delà de la seule révolte, comment les travaux de Scott peuvent-ils permettre de mieux comprendre le rôle joué par certaines franges de ce groupe dans le changement social ?
Enfin, au-delà du rapport à l’État, ne faut-il pas interroger d’autres relations de domination susceptibles de traverser les écologies de la liberté ? Comment relire Scott à la lumière des travaux écoféministes ou décoloniaux ? Finalement, à l’heure de la crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité, comment les travaux de Scott et les critiques qu’ils suscitent peuvent inspirer des modes de vie soutenables et des pratiques émancipatrices ?
Comité d’organisation
Thomas Caubet (ECHELLES, Université Paris Cité)
Pablo Corroyer (CERAPS, Université de Lille / CERI, Sciences Po)
Donatien Costa (SOPHIAPOL, Université Paris Nanterre / CERAPS, Université de Lille)
Coralie Douat (Labex PasP - ISP, Université Paris Nanterre / CERAPS, Université de Lille)
Léo Grillet (CEE, Sciences Po Paris)
Guillaume Fauvel (IDPSP, Université de Rennes)
Soline Schweisguth (CRH, EHESS / Institute of Modern History, Academia Sinica)
Margot Verdier (École de Science Politique, Université Aristote de Thessalonique / CERAPS, Université de Lille)
Comité scientifique
Natalia Buitron (Department of Social Anthropology, University of Cambridge)
Sylvaine Bulle (LAP, Université Paris-Cité)
Romain Bertrand (CERI, Sciences Po Paris - CNRS)
Simona Cerutti (CRH, EHESS Paris)
Nicolas Delalande (Centre d’Histoire de Sciences Po, Sciences Po Paris)
Quentin Deluermoz (Faculty of History, University of Cambridge / ECHELLES, Université Paris-Cité)
Jean-Paul Demoule (Trajectoires, de la sédentarisation à l’État, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Didier Fassin (Chaire « Questions morales et enjeux politiques dans les sociétés contemporaines », Collège de France / School of Social Sciences, IAS Princeton)
Émeline Fourment (CUREJ, Université de Rouen Normandie)
Huang Shu-li (Institute of Ethnology, Academia Sinica)
Mauve Létang (TREE, Université de Pau et des Pays de l’Adour)
Marc Opper (Department of Political Science, Randolph-Macon College, Virginia)
Johanna Siméant-Germanos (CMH, CNRS - ENS Paris – PSL)
Erwan Sommerer (Centre Jean Bodin, Université d’Angers)
Renato Sztutman (Departamento de Antropologia, Universidade de São Paulo)
Stéphane Vibert (École d’études sociologiques et anthropologiques, University of Ottawa.
Modalités de soumission
Les propositions de communications devront indiquer :
l’axe de l’appel dans lequel elles s’inscrivent,
la discipline dans laquelle elles s’inscrivent
cinq mots clefs,
un titre,
une bibliographie
être anonymisées
ne pas excéder 300 mots de résumé, incluant une présentation des matériaux, de la méthodologie, un positionnement par rapport à la littérature, une problématique et des axes.
Elles devront être envoyées au format .doc ou .docx à beyondscott chez proton.me
Calendrier de l’AAC
28 novembre 2025 : Date limite d’envoi des propositions de communication
Début mars 2026 : Notification d’acceptation ou de refus des propositions
25-26 juin 2026 : Colloque
Bibliographie
Buitron N., 2023, « Rule of Self and Rule of Law : Governing Opacity Among the Shuar of Amazonia », Ethnos, vol. 88, no 4, p. 749-773.
Cerutti S., 2015, « Who is below ? E. P. Thompson, historien des sociétés modernes : une relecture », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 70, no 4, p. 931-956.
Costa D., 2024, « De la lutte pour la terre à la lutte pour le territoire. Une lecture écologique du récit de l’accumulation primitive », Raisons politiques, 2024/4, no 96, p. 47-66.
Fassin D., 2009, « Les économies morales revisitées », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 64, no 6, p. 1237-1266.
Graeber D. et Wengrow D., 2021, Au commencement était... : une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui libèrent.
Hobsbawm E. J., 2012 [1959], Les primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Paris, Fayard.
Mann M., 1999, « Book Review : “Seeing like a State” », American Journal of Sociology, vol. 104, no 6, p. 1813-1815.
Scott J. C., 1976, Moral Economy of the Peasant : Rebellion and Subsistence in Southeast Asia, New Haven, Yale University Press.
Scott J. C., 1987, Weapons of the Weak : Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven, Yale University Press.
Scott J. C., 2009 [1990], La Domination ou les arts de la résistance, trad. fr. O. Ruchet, Paris, Éditions Amsterdam.
Scott J. C., 2013a [2009], Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, trad. fr. N. Guilhot, F. Joly et O. Ruchet, postface de R. Bertrand, Paris, Seuil.
Scott J. C., 2013b [2012], Petit éloge de l’anarchisme, trad. fr. P. Cadorette et M. Heap-Lalonde, Montréal, Lux.
Scott J. C., 2019 [2017], Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États, trad. fr. M. Saint-Upéry, préface de J-P. Demoule, Paris, La Découverte.
Scott J. C., 2021 [1998], L’œil de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire, trad. fr. O. Ruchet, Paris, La Découverte.
Scott J. C., 2025, In Praise of Floods : The Untamed River and the Life It Brings, New Haven, Yale University Press.
Siméant-Germanos J., 2010, « “Économie morale” et protestation – Détours africains », Genèses, vol. 81, no 4, p. 142-160.
Thompson E. P., 1988 [1963], La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Le Seuil.
Thompson E. P., 2015 [1991], Les usages de la coutume : traditions et résistances populaires en Angleterre, XVII-XIXème siècle, Paris, Éditions de l’EHESS.
Colloque
25-26 juin 2026 (Campus Condorcet, Aubervilliers)
Page créée le jeudi 9 octobre 2025, par Webmestre.