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Appel
Date limite de soumission : jeudi 30 juin 2022
L’institution foncière en Afrique noire rurale s’est originellement structurée autour de deux types de droit traditionnel hérités du « référent précolonial » (Pelissier et Sautter, 1970). Il s’agit du droit du premier arrivant et du droit d’usage (Le Bris et al. 1982). La terre, même si elle y apparaît comme propriété collective, est de fait contrôlé par les premiers résidents de l’espace et par les premiers à la mettre en valeur ; les séniors se chargeant d’en distribuer les droits. De ce fait, étrangers et cadets ne reçoivent alors des ainés que l’autorisation d’exercer un droit d’usage (Le Bris et al. 1982). Le foncier donne ainsi lieu à une organisation hiérarchisée des relations sociales. Elle stratifie les individus en les différenciant sur la base de ceux qui ont le droit d’installer les autres. Les aînés sociaux sont reconnus comme ayant le monopole de l’autorité sur l’espace foncier, tandis qu’étrangers et cadets, figures sous lesquelles sont souvent rangées les femmes, dépendent des premiers pour accéder à la terre. Certes, de rares travaux assument que la tradition et ces dispositifs de gestion du foncier favorisent plutôt l’accès au foncier des femmes (Obeng-Odoom, 2012). Mais, dans un contexte où, « Code Napoléon à l’appui, toute propriété fut quasi automatiquement attribuée au chef de famille, c’est-à-dire au mari » (Coquery-Vidrovitch, 1994), il convient alors de relever les deux problématiques qui ont enclenché le processus de minorisation des femmes en matière de droits fonciers. Il s’agit de l’approche de la citoyenneté locale et de celle des droits des cadets sociaux. La problématique de la citoyenneté locale considère la terre comme propriété des ancêtres des lieux. De ce fait, la terre est le repère des ancêtres. Dans ce contexte, la coutume passe des droits fonciers effectifs uniquement aux personnes dont les liens de parentèles sont établis avec les survivances des souches ancestrales. Cette orientation qui inscrit les souches familiales des devanciers dans une territorialité précise, régulée par un code coutumier spécifique, irrigue l’hypothèse d’une citoyenneté locale comme cadre permissif d’accès aux terres (Chauveau, 2006). Il y a consubstantialité entre appartenance à la communauté locale et droit sur le capital foncier (Walzer, 1997). Cela étant, en contexte généralisé d’exogamie, la femme, n’existant que par son lignage d’appartenance, devient une étrangère (Coquery-Vidrovitch, 1994). Comme telle, sans possibilité d’accès à des droits fonciers exclusifs (Kone, 2001), seules trois figures la qualifiaient alors : la mère nourricière, productrice et reproductrice (Meillassoux, 1980), base du patriarcat. Le patriarcat est expressif d’une approche oppositionnelle des genres où la figure de l’homme est associée à l’autorité et la production et celle de la femme, subordonnée à l’homme, à la reproduction. Le patriarcat est alors envisagé comme des relations sociales entre hommes et femmes, ayant une base matérielle et hiérarchique au bénéfice des hommes qui peuvent dominer les femmes en en faisant d’éternelles mineures (Bourdieu 1998). Aussi, en matière de droits fonciers, analyser la place de la femme à partir d’une perspective de cadette sociale c’est assumer une construction anthropologique de sa subalternité sociale, pour démontrer son manque d’influence sur les prises de décision et les diverses institutions gestionnaires du foncier (Chiweshe et al., 2014). Face aux maris ou aux hommes, elle demeure une mineure. Grâce à un « droit coutumier remanié et rigidifié » (Coquery-Vidrovitch, 1994), de par des logiques coloniales et de la chrétienté qui ont aussi hiérarchisé les rapports hommes et femmes en tolérant la présence de celle-ci dans la seule sphère domestique (Njoh et al., 2016, Uchem, 2003), les femmes sont exploitées, leur force de travail captée, par les pères et maris qui contrôlent la terre et les activités essentielles de production. La terre se pose en capital stratégique pour des activités qui permettent d’acquérir de l’argent et de se reclasser sur l’échelle des personnes de valeur au village. Les cultures de rente ont été le socle de construction de ces propriétés stratégiques de la terre et, en cela, comptables de la minorisation foncière de la femme (Meliki, 2017). La terre, dans un système de production rurale qui donnait naguère une place prépondérante au cacao, café et coton, structurait les rapports asymétriques entre aînés et cadets sociaux et, spécifiquement, entre hommes et femmes au sein de l’unité domestique (Coquery-Vidrovitch, 1994). Celle-ci est ainsi cantonnée dans le pôle d’exécution et d’aide aux activités économiques masculines. Quoique statistiquement majoritaire au Cameroun (BUCREP, 2010), le principe structurant de la subalternité à partir duquel les femmes sont appréhendées par les institutions traditionnelles, fait qu’elles ne sont pas perçues comme une catégorie significative capable d’accéder à des droits fonciers, d’infléchir ou de reconfigurer les pratiques du droit coutumier. Dès lors, ce prisme d’analyse procède de la subordination et de l’impouvoir des femmes en montrant que la terre est au centre de stratégies multiples d’acteurs. Elle est une ressource instrumentée en fonction des objectifs poursuivis par le détenteur du droit de contrôle et de partage. Le foncier est vu comme le produit de rapports interpersonnels qui s’établissent entre celui qui arrive la femme et celui qui est en place l’homme, l’aîné et ces rapports sont expressifs d’une équation des stratégies respectives qui servent des objectifs économiques, politiques et familiaux (Haeringer, 1982). La problématique du faible accès à la terre chez les femmes est donc liée à plusieurs facteurs de nature socio-culturelle (pesanteurs sociaux, système de transmission patrilinéaire des terres), économique (exploitation masculine) et juridique (déficit d’informations sur les droits) (Kébé Diouf, 2016). Englué dans ce minorat, on évoluerait à partir du prisme tacite d’une impossibilité des femmes à accéder effectivement aux ressources et droits fonciers et à infléchir les pratiques coutumières en la matière. Pourtant, ces grilles de lectures classiques d’un patriarcat et de son ordre de transmission patrilinéaire des droits fonciers exclusifs sont travaillées par des dynamiques contemporaines qu’il faut scruter dans leur rapport à l’accès et au droit foncier des femmes. De ce fait, cet appel invite à réfléchir sur les ruptures, en faveur de l’accès des femmes à la terre et aux droits y attachés, qu’enclenchent les crises économiques, la crise de l’agriculture rentière d’exploitation, l’essor marchand et la valorisation d’activités naguère réservées aux seules femmes, l’apport des regroupements associatifs féminins et les innovations dans les dispositifs institutionnels de gestion des droits fonciers.
Trois axes interpellent les réflexions :
Axe 1 : crise de l’agriculture rentière d’exportation et libéralités foncières pour les femmes
Avant la crise de la décennie 1990, les activités féminines n’étaient globalement destinées qu’à pourvoir aux menus besoins de la femme et des enfants. D’ailleurs, traditionnellement, elles 3justifiaient « leurs modestes activités devant la porte de leur enclos, sur la placette du quartier ou au marché, par la satisfaction de leurs besoins personnels : argent de poche, gâteries pour enfants, pagnes ou bijoux pour les cérémonies » (Coquery-Vidrovitch, 1994). De ce fait, les activités féminines n’ont traditionnellement bénéficié d’aucune considération masculine valorisante, simplement parce qu’elles constituaient une sorte d’ « économie rampante, sans valeur et n’entrant que très peu dans la comptabilité générale de l’économie de l’unité domestique (Bisilliat et Fieloux, 1992 ; Desjeux et al., 1983). Aussi, le caractère insignifiant des productions féminines expliquait alors que les hommes n’aient trouvé aucune justification, durant le primat de l’agriculture rentière d’exportation, pour « revoir » les droits de la femme à la terre. Pourtant avec la crise de l’agriculture rentière d’exportation et la chute des revenus substantiels des hommes, l’économie rurale féminine s’est érigée en palliatif qui, désormais, assure autant et souvent plus que l’économie masculine, les multiples besoins de l’unité familiale. Cet essor et ce processus de visibilisation des activités féminines qui, dorénavant, comptent pour les foyers, préfigurent de ruptures en matière de gestion de terres au profit des femmes. Ainsi, dans un contexte où la production maraîchère et le vivrier, par exemple, naguère confinées sur des terres marginales, ne sont plus l’apanage des femmes (Blanc-Pamard, 1984), avec l’irruption des hommes qui en font un créneau de reconversion (Ela, 1990), il convient de cerner et d’analyser les mécanismes à travers lesquels un tel processus mène, chez la femme, à une plus grande capacité à accéder et mobiliser les terres.
Axe 2 : structures associatives et capacitation féminine en matière de droits fonciers
Certes, la mobilisation contre des griefs est une réalité répandue aujourd’hui (Kadya Tall et Pommerolle, 2015). Pourtant, les femmes rurales restent peu observées et interrogées dans leur capacité à récuser ou à réformer les instances patrilinéaires de gestion exclusive du foncier. Ainsi, pour peu que l’on s’intéresse au champ associatif rural, l’univers des paysannes fournit un terrain pertinent. A côté du problème de la rémunération qui est caractéristique même des activités de production économique qui justifient la création des associations féminines, ces regroupements sont d’abord des moyens de capacitation de la femme rurale. Par capacitation, on entend un processus dont la finalité est de doter cette classe d’actrice d’un ensemble de capacités, de compétences, de savoirs et d’expertises stratégiques aussi bien au niveau individuel que collectif (Meliki, 2017). A terme, la capacitation devient un capital critique qui provoque une remise en question de certaines pratiques de domination et d’exploitation des femmes. Cet axe invite à questionner le fonctionnement, les pratiques et diverses formations et production des structures associatives en dont la finalité vise un meilleur accès de la femme aux terres.
Axe 3 : innovations des dispositifs institutionnels et droits fonciers des femmes
La minorisation des droits fonciers de la femme est davantage éclairée par les statistiques officielles. On y apprend que, au Cameroun, entre 2005 et 2013, les femmes ne détiennent que 19 % des titres fonciers individuels enregistrés (INS, 2013). Cet aperçu se traduit par le fait que, même si elle garantit près de 80% des besoins en denrées agricoles de l’unité domestique, elle ne contrôle guère plus de 5 % de terres (Coquery-Vidrovitch, 1994). Il faut d’ailleurs revenir à la répartition de la masse démographique par genre pour aller plus loin dans la posture marginale de la femme sur la question des droits fonciers. Les femmes représentent en effet plus de 51 % de la masse démographique totale, et constituent 60 % de la main-d’œuvre agricole, tout en apportant environ 80 % de la production alimentaire totale (Nardone, 2008). L’injustice foncière, vis-à-vis des femmes, est donc une problématique à laquelle fait face l’État. 4 Ainsi, en approuvant la Déclaration de l’UA de 2009 sur les enjeux fonciers, les chefs d’État et de gouvernements africains « ont décidé de renforcer la sécurité du régime foncier pour les femmes qui nécessitent une attention particulière » et « veiller à ce que les lois foncières prévoient un accès équitable à la terre et aux ressources connexes » (UA 2017). Il convient donc, sur la base des mesures juridiques et politiques prises par l’État, de montrer les diverses ruptures et innovations qui impactent, dans la vie réelle, les droits fonciers formels ou non des femmes.
Direction scientifique de l’ouvrage collectif : Dr MEDIEBOU CHINDJI, Pr Paul TCHAWA, Dr Samuel NGUIFFO
Modalités de soumission : toute proposition d’article doit être envoyée au secrétariat du comité de rédaction en pièce jointe et dans un format de traitement de texte à mechiro chez yahoo.fr, nzounquifiloum chez yahoo.fr et revue chez territoiressud.com
Calendrier :
date limite pour l’envoi des textes complets : 30 juin 2022 à minuit (GMT+1).
Retour des textes expertisés aux auteurs pour corrections : 30 Août 2022 à minuit (GMT+1).
Période de publication prévisionnelle : fin du troisième semestre 2022
Page créée le mardi 15 février 2022, par Webmestre.