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Appel
Date limite de soumission : vendredi 30 octobre 2020
Dossier coordonné par Madeleine Sallustio (Université libre de Bruxelles) & Maïté Boullosa-Joly (Université de Picardie Jules Verne)
L’investissement des mondes ruraux par des communautés contestataires ne date pas d’aujourd’hui. La stratégie de repli et d’éloignement par rapport aux lieux de centralisation du pouvoir a déjà été observée par les sociologues, les anthropologues et les historiens à différentes époques et endroits du monde.
Les individus qui décident d’organiser collectivement leur vie quotidienne et leurs modes de production sont motivés par différentes aspirations. Ils peuvent défendre une volonté de prise de distance par rapport au système dénoncé dans une perspective contestataire anticapitaliste. À l’instar des « milieux libres » anarchistes du 19e siècle (Steiner 2016 ; Creagh 2009), des « Zones à Défendre » en Europe (Pruvost 2017 ; Verdier 2018 ; Subra 2017) ou des communautés révolutionnaires zapatistes au Mexique (Reyes & Kaufman 2011 ; Baschet 2020), ces collectifs s’affirment comme des espaces d’insubordination, de résistance et d’organisation militante.Les collectifs utopiques sont aussi défendus par leurs protagonistes comme des lieux propices à l’expérimentation d’alternatives sociétales, qu’elles concernent les modes de gouvernance, les techniques agricoles, les rapports de genre ou l’organisation du travail. C’est ce qu’ont étudié de nombreux scientifiques à propos des collectifs agricoles dits « néoruraux » en France (Léger & Hervieu 1979 ; Mercier & Simona 1983 ; Sallustio 2018), de certaines communautés agricoles familiales engagées dans la lutte pour la souveraineté technique (Adenle et al. 2019) ou d’autres « communautés intentionnelles » aux USA (Lallement 2019 ; Petitfils 2011).Ces collectifs sont également l’occasion pour les individus d’accroitre leur capacité d’action individuelle à travers l’apprentissage de nouveaux savoir-faire et la prise en main proactive de leur existence. Cette démarche individualisée se transforme en quête d’émancipation personnelle (Carlsson & Manning 2010) et d’un mode de vie rural romantisé dont sont vantés les bienfaits matériels comme la moindre pollution ou l’accès aux grands espaces (Clavairolle 2013 ; Lacroix 1981 ; Mauger & Fossé 1977 ; Wittersheim 2017 ; Rouvière 2016).
Les contributions scientifiques récentes sur le sujet demeurent toutefois isolées et peinent à faire corps. Or, interroger les formes contemporaines du phénomène d’installation de communautés anticapitalistes en milieu rural permet d’apporter un socle empirique aux Utopian Studies en anthropologie. Les imaginaires utopiques ou dystopiques qui animent les acteurs sociaux revêtent un intérêt heuristique indéniable pour saisir les critiques sociales contemporaines et les transformations sociales qui leur sont liées (Maskens & Blanes 2018 ; Fitting 2009 ; Appadurai 2013 : 286 ; Wallman 1992 ; Baccolini & Moylan 2003 ; Schaer et al. 2000 ; Shukaïtis et al. 2007 ; Moore 1990).
A l’heure où il semble plus facile d’imaginer la fin du monde que l’effondrement du capitalisme (Jameson 1994 : xii), nous souhaitons réunir dans ce dossier des analyses du quotidien de ces « utopies concrètes » (Wright 2017 [2010]) en milieux ruraux. L’objectif est d’en saisir le potentiel « créateur » (Cossette-Trudel 2010) ainsi que les valeurs sociales et les contradictions qu’elles entretiennent. Pour ce faire, nous investiguerons tout particulièrement quatre axes de réflexion.
1) Tout d’abord, celui de l’autonomie, entendue comme la volonté émancipatrice de « faire soi-même » et de chercher l’indépendance (financière, alimentaire, énergétique, gouvernementale). À l’heure d’une recrudescence des mouvements Do It Yourself, low tech ou « collapsologiques », les campagnes sont réinvesties par des acteurs soucieux de se réapproprier une certaine souveraineté technologique et alimentaire. Ils souhaitent ainsi participer à une réappropriation de la définition du « progrès » (Grimaud et al. 2017 ; Dobré 2002 ; Pruvost 2013, 2015 ; Jarrige 2014 ; Lallement 2019). À travers quels types d’activités se manifeste cette quête d’autonomie ? Quels modes d’organisation interne (du travail, de la famille, des rites ou autres) sont déployés par les acteurs pour y parvenir ? Quels facteurs économiques, politiques ou géographiques entravent ou favorisent ces initiatives ?
2) Les mondes ruraux offrent par ailleurs un cadre spécifique à la réalisation de ces pratiques autonomes, tout particulièrement en ce qui concerne les vastes espaces qui entourent parfois les collectifs et la possibilité de cultiver la terre. L’aspect environnemental de ces projets utopiques constitue le deuxième axe de réflexion de ce dossier. Nous nous intéresserons aux représentations de la nature véhiculées par les pratiques agricoles développées par les acteurs. Ces derniers sont-ils portés par une « nostalgie structurelle » attachée à l’idée de ruralité (Herzfeld 2007) ? Revendiquent-ils une filiation avec la paysannerie traditionnelle ? Quelle est la place accordée à la conservation du patrimoine naturel et à la biodiversité animale et végétale ? Les acteurs font-ils référence à la permaculture dans la mise en place de leur projet agricole ? Quelle place est accordée au végétarisme ou au véganisme dans leur pensée politique ? L’analyse des registres symboliques qui entourent l’entretien du paysage, du végétal, de l’animal permettra d’en apprendre davantage sur les courants philosophiques portés par ces acteurs.
3) A ce titre, nous cherchons aussi à appréhender la critique sociale et le travail idéologique qui sont développés au sein de ces collectifs. Quelles sont les thématiques politiques le plus souvent abordées par les acteurs ? Comment se manifeste leur volonté de transformation sociale ? Dans quelle mesure celle-ci s’inscrit-elle dans la continuité d’une pensée politique historique ? Mobilisent-ils des stratégies d’action innovantes ? Quels sont les canaux de socialisation, de formation et de sensibilisation préconisés ? De nombreux auteurs ont par ailleurs témoigné d’un abandon des temporalités optimistes révolutionnaires au profit d’une perspective dystopique et présentiste (Dubar 2011 ; Leccardi 2011 ; Foessel 2012 ; Diaz 2017 ; Dupuy 2002 ; Chateauraynaud 2013). Qu’en est-il des temporalités véhiculées dans leurs ambitions contestataires ? Comment les individus qui investissent ces collectifs envisagent-ils le passé, le présent et l’avenir ?
4) Enfin, nous nous pencherons sur les modes d’organisation et de prise de décision internes. Ces initiatives d’investissement politique des campagnes sont parfois le théâtre d’expérimentation de modes de gouvernance participatifs (Sallustio 2019). De quelle façon les acteurs interrogent-ils les rapports de pouvoir et que mettent-ils en place pour les dépasser ? Quelle place est accordée aux rapports de genre dans l’organisation collective ? Il nous importera aussi de savoir quel est le rapport entretenu par les acteurs avec les structures étatiques et la démocratie représentative. Ces collectifs continuent-ils d’entretenir des relations avec des institutions ou organisations officielles ? Si oui, quelles en sont les modalités d’organisation et les points de friction ?
Ce numéro s’inscrit dans une démarche multidisciplinaire. Il est ouvert à des contributions anthropologiques, historiques, sociologiques ou de sciences politiques. Les matériaux ethnographiques, les extraits d’entretiens et le travail photographique / iconographique sont bienvenus, de même que les réflexions sur la méthodologie adoptée sur le terrain.
Modalités de soumission
Les propositions d’articles, en français ou en anglais britannique (un titre et un résumé de 500 mots + 5-6 mots-clés), sont à envoyer avant le 30 octobre 2020 au secrétariat de la Revue civilisations chez ulb.ac.be
Page créée le lundi 7 septembre 2020, par Dominique Taurisson-Mouret.