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Appel
Date limite de soumission : dimanche 7 septembre 2025
Ce colloque propose une réflexion critique sur les notions d’internement, sous ses différentes formes en retraçant leur évolution, des conceptions coloniales aux ‘archipels de détention’ actuels dans les régimes de migration.
Les logiques, les institutions et les pratiques d’enfermement, de concentration et d’internement individuels et collectifs en tant que tels sont des caractéristiques majeures de la modernité européenne (Foucault, 1972 et 1975) et du colonialisme européen et plus largement occidental. Ces logiques et pratiques ont également été mises en œuvre par les États contre leurs propres populations. Les colonies ont souvent été des laboratoires de violence et de contrôle (Césaire, 2006 ; Arendt, 1951) depuis la Renaissance et l’invasion parallèle des Amériques par les Espagnols et les Portugais (Mignolo, 1995). Plus récemment au cours du 20e siècle, pendant l’entre-deux-guerres, l’Espagne franquiste et le Portugal salazariste ont déployé ces techniques contre des opposant·es politiques nationaux et des groupes jugés « indésirables ». Ces pratiques ont également été employées par l’Italie coloniale qui a souvent eu recours à la déportation et à l’internement d’opposants dans des colonies pénitentiaires situées dans des îles du sud de l’Italie (Di Pasquale, 2018) et dans toute la Libye (Ahmida, 2021). L’Italie fasciste et l’Allemagne nazie ont par la suite adapté et développé ces méthodes d’internement, les transformant finalement en l’un des aspects les plus marquants de la Seconde Guerre mondiale : les camps de concentration et d’extermination.
Moins connu et encore insuffisamment reconnu, l’enfermement collectif figure également dans les politiques et pratiques européennes d’après 1945, soit bien après que la nature et les conséquences de ces pratiques aient été mises en lumière. Depuis plusieurs années, les États membres de l’UE ont adopté des stratégies déplaçant la « gestion » de l’asile, des réfugiés et des (im)migrations dans des zones de confinement aussi éloignées que possible des centres urbains, des cadres juridiques et – géographiquement – du continent européen.
Ce recours contemporain à des lieux d’outre-mer comme les “centres” pour migrants en Libye ou en Tunisie, rend ces pratiques et ces personnes « invisibles » aux yeux de la législation nationale et de l’opinion publique. Ce fait est moins surprenant si l’on se souvient qu’à la naissance de ce qui est devenu l’Union européenne (CECA, 1951 ; CEE & EURATOM, 1957), la plupart des États membres était alors des empires coloniaux : l’Italie jusqu’en 1960, la Belgique et la France jusqu’en 1962, les Pays-Bas jusqu’en 1975 (Hansen & Jonson, 2022). Les défaites de l’Allemagne lors des deux guerres mondiales ont entraîné la perte de ses possessions coloniales, mais les pays qui ont rejoint ensuite la CEE comme le Portugal, l’Espagne, le Danemark, conservent comme la France et les Pays-Bas des possessions d’outre-mer. L’UE elle-même recense actuellement plusieurs pays et territoires d’outre-mer.
Ce colloque souhaite explorer de façon interdisciplinaire le croisement de l’histoire coloniale de l’Europe et des pratiques d’internement avant et après la seconde guerre mondiale, produisant la marginalisation des « indésirables » dans l’internement. Nous souhaitons l’étudier dans le temps long, depuis la Renaissance jusqu’aux impérialismes des 19ème et 20ème siècle, dans une perspective prenant en compte les hiérarchies épistémiques qui se sont imposées sur ces questions. L’objectif est double : mettre en lumière les pratiques coloniales des internements depuis les débuts de l’expansion européenne, en faisant appel à la notion de colonialité (Quijano, 2000), d’une part ; explorer d’autre part les héritages coloniaux dans les pratiques européennes contemporaines de construction de certaines populations comme dangereuses, et comment cette différence, ce risque, voire ce danger sont légiférés, surveillés, policés, “gérés” et plus généralement théorisés. Mais aussi comment les « classes dangereuses » se sont reconfigurées au fil des siècles – des femmes indésirables enfermées au château de Loches (Val de Loire) aux XVIe et XVIIe siècles, aux représentations du prolétariat urbain dans le capitalisme naissant à leurs dérivations inquiétantes dans le monde contemporain.
Les contributions pourront notamment porter sur les logiques, les lieux et les pratiques d’enfermement, de concentration et d’internement, selon des approches qui peuvent être historiques, sociologiques, anthropologiques, juridiques, philosophiques, littéraires, etc.
Archipel des internements :
Cartographie, morphologies des systèmes de camps ; monographies ou études comparatives de prisons politiques, de colonies pénitentiaires, de différents types de camps à l’époque moderne et contemporaine ;
Etudes de cas ou comparaisons de pratiques d’internement ciblant des populations en tant que telles, que ce soit dans des contextes coloniaux ou nationaux ;
Quelles relations se sont tissées entre les personnes confinées et la population locale ? Quel a été l’impact social, culturel et environnemental (à long terme) du camp sur le territoire et sa population ?
Généalogies
Comment les différentes formes d’internement du passé sont-elles liées au présent ? Comment les connaissances et les pratiques successives ont-elles emprunté ou innové à partir de logiques, d’institutions et de pratiques antérieures ? Comment ces connaissances sont-elles transmises ?
Quelles sont les généalogies des pratiques contemporaines de détention, par exemple des migrants, à travers le continent européen du 15e au 21e siècle ?
Quel est le rôle des acteurs non étatiques tels que les organisations internationales ou les agences intergouvernementales (dans le contexte européen, EU-Lisa, Frontex, Agence de l’Union européenne pour l’asile), dans les généalogies de la détection et de la surveillance vers les pratiques d’internement ?
Généalogies matérielles : que nous disent aujourd’hui la (ré)utilisation de lieux comme les châteaux ou les forteresses, leur reconversion ou la réaffectation de camps au fil des époques ou lors de transitions politiques ? Le château d’Amboise, par exemple, fut une forteresse moyenâgeuse, un lieu de résidence royale, puis une prison au XVIIe siècle et au cours de la Révolution française. S’il fut considéré comme un monument historique à partir de 1840, il n’en fut pas moins un lieu de détention de l’émir ‘Abd el Kader d’Algérie et de sa suite de 1848 à 1852. Ce fut aussi un hospice, un lieu d’accueil pour les réfugiés au cours de la Seconde guerre mondiale, et enfin un entrepôt militaire avant d’être définitivement réaffecté comme un lieu patrimonial. Un intérêt particulier sera porté aux installations matérielles permettant l’internement et à leur réaffectation à la gestion des migrants et des réfugiés au sein des États européens et en dehors, dans le cadre d’une gestion « externalisée ».
(Dis)continuités dans les lieux et les techniques : comment les pratiques d’internement ont-elles évolué dans le temps et dans l’espace ?
Ontologies
Conceptions et formes de catégorisations des groupes ciblés par les stratégies d’internement (rebelles, « déviants », prostituées, migrants, terroristes, etc.) ; l’évolution de ces catégories et catégorisations, la circulation ou la transposition de ces catégories à d’autres groupes.
Espaces racialisés, genrés (etc.) et définition de la différence, du risque, de la déviance, du danger ; formes de ségrégation.
Genre et internement
Existe-t-il des politiques d’internement fondées sur le genre ciblant les femmes et la communauté LGBTQIA+, à la fois dans l’histoire et à l’heure actuelle ? Comment les rôles de genre et la sexualité ont-ils été redéfinis pendant la Renaissance et sous les régimes coloniaux en Europe, en Afrique et dans les Amériques ?
Comment la nécropolitique migratoire (Mbembe, 2020b) a-t-elle créé de nouveaux espaces « informels » d’enfermement qui exacerbent les vulnérabilités physiques des migrants et des travailleurs ? Existe-t-il des stratégies d’internement différentes selon le sexe ?
Comment la racialisation des individus et leur genre s’articulent-ils dans ces processus d’enfermement ? L’internement/confinement peut-il s’appliquer aux maisons closes coloniales ou aux zones « réservées » aux prostituées aujourd’hui ?
Expériences des internements
Comment la diversité des formes, des pratiques et des motifs d’enfermement, dans le temps et l’espace, conforme-t-elle le vécu et les représentations des personnes qui y sont contraintes ? Que peut-on dire au sujet des émotions, des perceptions, des subjectivités, des processus cognitifs et réflexifs qui se construisent dans l’enfermement ?
Quelle sont les formes d’expression, les prises de parole, les mises en récit et leurs effets, les facteurs de vulnérabilité ou de résistance qui transforment l’expérience de la réclusion ?
Épistémologies
Quels sont les modes de pensée (philosophies, discours, raisonnements, épistémès) qui rendent l’internement possible, rationnel, normal, voire souhaitable ?
Comment les conditions de l’internement sont-elles construites, en particulier dans les États d’Europe du Sud, que le contexte soit national ou colonial ?
Quelles sont les codifications juridiques et le déploiement informel de la loi dans les pratiques d’internement ?
Patrimoine, mémoire et débat public
Les sites du patrimoine national et les musées sont parfois d’anciens lieux d’enfermement d’individus ou de groupes « dangereux ». Cet aspect est souvent ignoré dans l’écriture des histoires nationales, comme cela a été le cas pour les châteaux de la vallée de la Loire (Loches, Amboise, Valençay, etc.). Quelle est la contre-mémoire de ces sites ? Est-il possible de réécrire l’histoire, en déconstruisant les récits dominants sur ces prisons, ces camps ou ces bâtiments de confinement du point de vue de celles et ceux qui ont été emprisonné.es ?
La transformation de ces anciens sites d’internement en patrimoine national présente-t-elle un « côté obscur » ?
Récemment, des centres d’enfermement ont été transformés en lieux de mémoire (par exemple, l’ancienne prison Modelo de Barcelone). Quels sont les effets de la patrimonialisation sur les victimes et sur les coupables ?
Quels sont les liens entre la conversion de ces lieux en patrimoine et la justice réparatrice ? Les héritages coloniaux sont-ils reconnus dans ces processus ?
Les anciennes puissances coloniales ont dissimulé le passé, les lacunes intentionnelles dans les documents officiels, les absences dans les programmes scolaires et les lieux de mémoire (Nora, 1997) sont inextricables de la reproduction des mécanismes et des logiques d’internement des anciens pays coloniaux en ce qui concerne la migration. Comment ces politiques sont-elles mises en œuvre ? Comment ont été pris en charge ces lieux divers d’internement par les nouveaux États sortis des décolonisations ? Quels sont les éléments qui permettent de rompre le silence autour des pratiques historiques d’enfermement et de les faire entrer dans le débat public ?
Les organisateurs souhaitent recevoir des contributions sur l’un ou l’autre de ces aspects et soulignent que la liste présentée ci-dessus n’est pas exhaustive.
Organisation, financement, modalités et délai de soumission des propositions
Le colloque est organisé par le réseau scientifique international INTERCOL - Le grand renfermement colonial. Formes d’internement dans le cadre de la colonialité – qui réunit à l’heure actuelle sept partenaires institutionnels internationaux et une dizaine de chercheur.es impliqué.es à titre individuel. Son financement est assuré par l’Université de Tours et par le consortium international Neolaia (https://neolaiacampus.eu/).
Les responsables scientifiques du colloque sont Francesco Correale (CNRS), Hélène Bertheleu (Univ. Tours), les deux à l’UMR 7324 CITERES à Tours, et Andrea Teti (Univ. Salerne).
Les propositions peuvent être en français, en anglais ou en espagnol (max. 2000 mots) accompagnées d’un bref CV + publications (deux pages).
Elles doivent parvenir à
francesco.correale chez cnrs.fr
helene.bertheleu chez univ-tours.fr
gteti chez unisa.it
Avant le 7 septembre 2025
Un nombre limité de financements - totaux ou partiels - pourrait être envisagé, notamment pour les chercheur.es non structuré.es dont les communications auront été sélectionnées. Des informations plus détaillées sur ce point seront communiquées à partir de septembre
Colloque
Du 26 au 28 novembre 2025 (Université de Tours)
Page créée le mardi 24 juin 2025, par Webmestre.