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Appel
Date limite de soumission : mardi 31 mai 2022
Le caractère incertain du pluriel permet d’ouvrir la réflexion tant sur la nature profonde de la démarche coloniale que sur les formes, diverses, qu’elle a prises. Cette thématique fait aujourd’hui, notamment en Europe, l’objet de nombreux débats. Au moment où l’on commémore le soixantième anniversaire de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, parfois sur fond de polémique, il paraît intéressant de revenir à nouveaux frais sur une question qui continue à susciter nombre de discours politiques et de travaux universitaires.
La conférence inaugurale du colloque sera prononcée par Benjamin Stora.
La première journée sera organisée autour de la thématique « La colonisation, fille illégitime des Lumières ». Elle sera consacrée aux travaux sur la genèse, les justifications, les motivations réelles, l’histoire, l’imaginaire et les mémoires de la colonisation européenne à l’époque contemporaine (de la fin du XVIIIe siècle à la décolonisation).
La thématique de la seconde journée, « Les Corses dans l’empire colonial », sera l’occasion d’opérer un focus et de faire un point scientifique sur une question ayant déjà donné lieu à un colloque, il y a une vingtaine d’année (Corse colonies).
Première journée : « La colonisation, fille illégitime des Lumières »
Fille illégitime, car si l’on croyait les Lumières mariées avec l’esprit de justice, seul leur compromission avec celui de lucre et de prédation a pu engendrer le phénomène colonial. Comment l’ère des déclarations des droits humains (« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ») a-t-elle pu produire une situation aussi inégalitaire que le système colonial ? Les mécanismes qui ont conduit de l’une à l’autre doivent continuer à faire l’objet d’études et d’analyses toujours plus précises, à un moment où l’on voit d’une part ressurgir des discours de justification ou de déni, et d’autre part apparaître des exigences de repentance toujours plus pressantes, adressées aux générations actuelles qui ne peuvent se sentir responsables de fautes – fussent-elles singulièrement graves – commises il y a un si grand nombre de décennies.
Au centre de la problématique, on trouve naturellement la question politique de la concurrence entre nationalismes européens en pleine expansion. Le sujet est connu et a déjà été abondamment traité.
La question économique mérite certainement d’être encore explorée, les Lumières ayant engendré la révolution industrielle, laquelle joua une rôle conséquent dans le développement des projets coloniaux : « …rêve du marché idéal, moteur de l’économie et explication des évolutions géopolitiques. Mais ce rêve est rationnalisé, organisé, rien n’est laissé au hasard. (…) L’Âge d’or semble tendre les bras à une Europe qui se sent capable de changer la face du monde… »
Il est également étonnant de voir que des responsables politiques comme Jules Ferry, engagés dans le projet d’émancipation par l’éducation et le savoir promu par les Lumières, ont pu justifier la démarche coloniale au nom du devoir, pour les « races supérieures », de « civiliser les races inférieures », ce qui – par-delà une rhétorique qui nous paraît aujourd’hui insoutenable – conduisait à l’exact contraire de l’émancipation…
On peut également s’interroger sur le passage d’une soi-disant supériorité de civilisation à une prétendue supériorité raciale. Dans l’un et l’autre cas, l’objectif est naturellement de justifier la présence coloniale, le colonisé étant supposé – par essence – incapable, fainéant et violent, dans l’impossibilité d’organiser une société harmonieuse. Albert Memmi note, parmi les traits mythiques du colonisé, sa méchanceté, sa brutalité, accusation classique également relevée – s’agissant du nord-africain – par Frantz Fanon. Autre phénomène analysé par ces écrivains : l’intégration par le colonisé de l’idée de sa propre infériorité, et ce jusqu’à « la haine de soi » (Albert Memmi).
Toujours dans le registre des motivations – ou des justifications – de la colonisation, rappelons la place, dans l’imaginaire des pays de la rive nord de la Méditerranée, des représentations relatives au supposé despotisme oriental, lequel était lié aux razzias et à l’esclavage de Chrétiens dans les Etats barbaresques. En Corse, on trouve notamment des témoignages de ce traumatisme dans les locutions idiomatiques (« Razza macumetana ! ») et dans l’art pictural, avec la thématique du « Maure bourreau » très présente dans le baroque insulaire. Le souvenir de ces événements, transmis par la tradition orale, a certainement joué un rôle dans l’engagement colonial des Corses.
S’agissant des Lumières et de leur postérité paradoxale, on relèvera aussi la coexistence au XIXe siècle, au sein des mêmes milieux et parfois chez les mêmes personnes, d’un engagement antiesclavagiste et d’un soutien à la colonisation. Victor Schœlcher en est l’exemple le plus saisissant. Rappelons que le décret d’abolition de l’esclavage (1848) est intervenu quelques mois après que la conquête française de l’Algérie a été accomplie avec la reddition de l’Emir Abd el-Kader. Mais déjà au XVIIIe siècle, les discours sur l’esclavage et la colonisation étaient loin d’être exempts de complexité et d’ambiguïté. Les travaux d’Yves Benot sur les fondements intellectuels de l’antiesclavagisme et de l’anticolonialisme au siècle des Lumières ont apporté une contribution déterminante à la compréhension de la question. S’agissant de la colonisation, l’abbé Raynal, figure marquante de l’antiesclavagisme, défendait lui-même une idée largement répandue au sein des Lumières : « Si la contrée est en partie déserte, en partie occupée, la partie déserte est à moi. J’en puis prendre possession par mon travail. » Rappelons du reste que Napoléon Bonaparte, qui avait été un lecteur passionné de l’abbé Raynal et qui avait entretenu des relations épistolaires avec ce dernier, rétablit néanmoins l’esclavage qui avait été aboli par la Convention. Par ailleurs, sa campagne d’Egypte avait constitué une opération de nature à la fois militaire et coloniale.
De la colonisation française, un angle de vue complémentaire nous est donné par la littérature, qu’il s’agisse des écrivains qui en ont dénoncé les méfaits (Maupassant, Gide, Albert Londres) ou des chantres de cette même colonisation, de ceux que l’on appelait auteurs « colonistes », un qualificatif oublié de nos jours.
Comme on le voit, la thématique de cette première journée de colloque justifie la mise en œuvre d’une approche pleinement transdisciplinaire.
Deuxième journée : « Les Corses dans l’empire colonial »
« Vingt ans après… »
En 2002, le Musée de la Corse organisait une exposition et un colloque sur le thème « Corse Colonies », ceci afin d’analyser les rapports entre la Corse, les Corses et les peuples et territoires de l’ex-empire français, quarante ans après les indépendances. Loin de l’hagiographie des temps coloniaux, ces manifestations permirent de faire un premier point scientifique sur ces rapports complexes.
Aujourd’hui, une vingtaine d’années plus tard, le temps semble venu de faire un nouveau point sur l’état de la question, d’autant que le champ scientifique général s’est considérablement élargi. Entre-temps, en effet, de nombreux travaux ont été menés à bien sur la période coloniale. Aux recherches classiques sur les aspects économiques et politiques, se sont ajoutées les questions plus sensibles de genre, de castes, de sexe mais aussi celles de la dynamique des sociétés locales, de leurs résistances, de leurs stratégies d’évitement, etc. Le temps est également aux analyses comparatives entre empires ou parties de ceux-ci, dépassant ainsi les clivages historiographiques traditionnels, à l’étude des relations entre métropoles et empire, mais également à l’intérieur de l’empire, voire avec des régions d’autres puissances coloniales.
À la lumière de ces travaux, l’intérêt d’un nouveau colloque sur les relations « impériales » de la Corse et des Corses ne peut qu’être profitable, tant d’un point de scientifique – en faisant l’état du savoir concernant l’île, mais également des champs d’études à explorer – que sociétal, en permettant d’aborder certaines problématiques de la société insulaire au prisme colonial, en évitant les simplifications abusives. Les interventions porteraient sur une triple problématique :
Tout d’abord celle de l’importance et de la durée de l’investissement des Corses dans l’empire français ; cela d’un double point de vue, humain et économique – à travers des exemples de « carrières » –, mais aussi culturel – dans le sens de représentations du monde, autrement dit comment l’empire a modifié la perception que les Corses avaient de la France et d’eux-mêmes.
Ensuite, une analyse des relations inter-diasporique, ou comment les Corses vivent-ils l’empire, les liens qu’ils établissent entre eux au-delà des territoires. Cet aspect relationnel doit être étendu aux colonisés afin, d’une part, d’analyser la vision des Corses vis-à-vis de ceux-ci, mais également la vision que ces derniers se font des insulaires parmi les colonisateurs.
Enfin, il s’agira de s’intéresser aux « mémoires d’empire » : qu’est-ce que la vision coloniale du monde et des hommes a laissé dans les représentations que se font les Corses d’aujourd’hui des personnes issus de cet empire, pour le meilleur et pour le pire ? A contrario, existe-t-il de nos jours, par exemple dans la littérature des pays d’Afrique du Nord ex-colonisés, une vision particulière des Corses ? On sait que c’est le cas dans quelques œuvres d’écrivains algériens de langue française des années 1950-1960, mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Modalités de soumission
Les propositions (3000 signes, espaces et références bibliographiques comprises) sont à envoyer aux adresses suivantes : talamoni_jg(at)univ-corse.fr et n-guyen-van-hoan_t(at)univ-corse.fr jusqu’au 31 Mai 2022.
Merci de préciser le nom et le rattachement institutionnel du contributeur
Échéancier
Lancement de l’appel : 26/04/2022
Date limite d’envoi des propositions : 31/05/2022
Retour sur les propositions par le Comité scientifique : 30 Juin 2022
Comité scientifique
Eugène Gherardi, Professeur des universités, Directeur de l’UMR LISA 6240 CNRS, Université de Corse
Dominique Verdoni, Professeur des universités, Université de Corse
Didier Rey, Professeur des universités, Université de Corse
Jean-Paul Pellegrinetti, Professeur des universités, Université de Nice
Antoine-Marie Graziani, Professeur des Universités, Université de Corse
Wanda Mastor, Professeur des universités, Université de Toulouse
Christophe Luzi, Ingénieur de recherche CNRS, HDR, Université de Corse
Sébastien Quenot, Maître de conférences, Université de Corse
Denis Jouffroy, Maître de conférences, Université de Corse
Laetizia Castellani, Professeur certifiée, Université de Corse
Sylvain Gregori, Directeur du musée de Bastia
Jean-Guy Talamoni, Maître de conférences associé HDR, Université de Corse
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