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Appel
Date limite de soumission : lundi 27 octobre 2025
Ce projet de publication collective, dirigé par Farid El Asri (anthropologue, Université Internationale de Rabat) vise à explorer les dimensions sociales, culturelles, religieuses et politiques de l’eau au Maroc, à travers une approche anthropologique et interdisciplinaire. L’objectif est de croiser les regards de chercheurs et praticiens sur les usages, représentations et enjeux contemporains liés à l’eau dans un contexte de crise hydrique. L’ouvrage s’organise autour de six axes thématiques : de l’eau comme fait anthropologique total à la diplomatie hydrique, en passant par les mémoires hydrauliques, les sacralités religieuses, les pratiques quotidiennes et les mutations sociales.
Qualifiée « d’or bleu », pour signifier le caractère limité de la ressource, l’eau est bien plus qu’un simple élément naturel vital ou une ressource économique : elle est plus que jamais devenue un vecteur de sens, de rapport conscient à la nature et d’identité. La conscience de la préservation de l’eau s’inscrit dans un changement de paradigme de perception, de rapport et de clairvoyance vis-à-vis de la rareté. Ceci induit de nouvelles logiques de représentation, de consommation et de projection sur le futur de l’eau. Selon l’étude « Water Insights 2025 » de Grohe, 72 % des Marocains considèrent la crise de l’eau comme une urgence de premier plan ; c’est là un taux supérieur à la moyenne globale (56 %). Dans de nombreuses sociétés, l’eau structure les rapports sociaux, façonne les territoires, inspire les croyances et cristallise parfois les crispations en matière d’accès aux ressources d’eau potable. L’expérience vécue de l’eau – sa rareté, sa présence névralgique, son écoulement – façonne la manière dont les individus perçoivent leur environnement et leur propre existence. L’eau devient là un vecteur de mémoire, d’émotion et de sensibilité.
Dans ce contexte, le Maroc constitue un terrain d’étude particulièrement prolixe et hautement pertinent. Pays à la fois méditerranéen, saharien et atlantique, il est confronté à des défis hydriques majeurs : raréfaction des ressources, changement climatique, urbanisation accélérée, consommations agricoles et industrielles, inégalités d’accès et disparité pluviométrique. Dans les zones arides ou semi-arides du Maroc, la quête quotidienne de l’eau structure le rythme de vie, les gestes corporels et les récits intimes. Elle révèle une relation charnelle et existentielle à la nature, souvent marquée par l’incertitude et la résilience. Au-delà des enjeux techniques, l’eau au Maroc est donc aussi un objet culturel et social profondément ancré dans les pratiques, les récits et les imaginaires collectifs. Des oasis du Sud aux villes côtières, des montagnes de l’Atlas aux plaines irriguées, les formes d’appropriation, de gestion et de représentation de l’eau sont multiples et évolutives.
La particularité du contexte marocain impacté par de l’aridité, des sécheresses récurrentes et de projets de développement de grande envergure en matière de sécurité hydrique ; en sus du degré de conscience des Marocain(e)s quant à la fragilité d’accès abondant à l’eau, motivent donc le présent projet d’ouvrage collectif. Il s’agira de mettre en dialectique les logiques souveraines de développement structurel sur le plan hydrique, avec les perceptions de la société marocaine, eu égard aux enjeux nationaux, et avec les liens nouveaux qui se tissent avec l’eau.
Proposer une anthropologie de l’eau, en tant que champ de recherche interdisciplinaire, consiste à s’attacher à la compréhension des multiples dimensions sociales, culturelles, symboliques et politiques de l’eau, tout en croisant les approches des sciences humaines et sociales avec celles des sciences de l’environnement et de l’ingénierie.
L’ouvrage s’articulera autour de six axes thématiques complémentaires, permettant de structurer les contributions selon des entrées à la fois analytiques et empiriques :
Axe 1. L’eau comme fait anthropologique total
L’eau, dans sa matérialité fluide et sa portée symbolique, constitue un objet d’analyse privilégié pour l’anthropologie contemporaine. Elle s’annonce en tant que fait anthropologique total[1]. L’anthropologie de l’eau s’inscrit ainsi dans une démarche transversale, à la croisée de plusieurs champs : écologie politique, anthropologie des techniques, anthropologie religieuse, études postcoloniales et études environnementales. Les systèmes d’irrigation, les puits communautaires, les sources sacrées ou les barrages modernes sont autant de dispositifs techniques et symboliques qui incarnent des rapports sociaux. Elle est au cœur des dynamiques de coopération comme des tensions sociales, révélant les logiques d’inclusion et d’exclusion qui traversent les sociétés.
Dans le contexte contemporain de crise écologique, l’eau est de plus en plus pensée comme un bien commun fragile, menacé par l’hyper consumérisme, l’augmentation de la demande d’une démographie croissante et la raréfaction pluviométrique. L’anthropologie permet ici de documenter les perceptions, relations et interactions entre les logiques communautaires de gestion de l’eau à l’échelle locale et les logiques de développement macro. L’eau devient ainsi un objet social de plus en plus prégnant, mais aussi un levier de réinvention sociétale, ouvrant le champ des possibles de façon aussi accélérée qu’inédite.
Enfin, l’eau interroge les frontières entre nature et culture, humain et non-humain. Elle circule, déborde, s’infiltre et se conserve avec fragilité. Elle oblige les sociétés à composer avec l’incertitude, la temporalité cyclique, la vulnérabilité. L’anthropologie de l’eau rejoint ici les réflexions des anthropologues de l’environnement et des penseurs du tournant ontologique, portant sur la notion d’existence, d’anthropocène et de relation renouvelée à l’eau. L’or bleu, en tant qu’élément mouvant, insaisissable et vital, nous invite ainsi à repenser les catégories classiques de l’anthropologie — nature, culture, technique, sacré — et à envisager de nouvelles formes de cohabitation entre les êtres vivants et leurs milieux de vie.
Axe 2. Diplomatie hydrique et enjeux de développement
Ce deuxième axe élargit la focale à l’échelle nationale et internationale, en interrogeant les politiques publiques, les stratégies de coopération et les enjeux géopolitiques liés à l’eau.
Le Maroc, engagé dans de nombreux projets structurants de gestion de l’eau (barrages, dessalement, réutilisation des eaux usées, etc.), et inscrit dans un vaste programme barragiste royal, se positionne également comme un acteur régional dans la diplomatie hydrique. En effet, le Maroc engage une souveraineté hydrique sous initiative royale et se positionne dans le paysage régional en tant qu’acteur stratégique dans les chantiers de développement et de sécurité hydrique. Le Royaume promeut à l’évidence, du fait de son approche holistique et plurielle, une gouvernance hydrique autant qu’une diplomatie climatique qui repose sur un bilan exceptionnel en matière de capacité d’accumulation des acquis, de projection stratégique et de plan prospectif en la matière.
Cet axe propose d’examiner ces projets sous plusieurs angles. Il s’agit d’abord de comprendre les objectifs affichés : améliorer la sécurité hydrique, soutenir l’agriculture, répondre aux besoins urbains, ou encore anticiper les sécheresses. Mais il est aussi important d’analyser les effets concrets sur les territoires et les populations, ainsi que les perceptions qui découlent de ces chantiers ambitieux.
Les contributions pourront porter sur des études de cas précises (un barrage, un périmètre irrigué, une station de dessalement, etc.), sur les discours politiques et médiatiques qui accompagnent ces projets, ou encore sur les perceptions et les réactions des habitants concernés.
En somme, cet axe vise à documenter et à analyser les transformations induites par les politiques hydriques au Maroc, en mettant en lumière les dynamiques d’aménagement, les jeux d’acteurs, les enjeux de gouvernance et les défis de durabilité.
Ce volet accueille aussi des réflexions sur les cadres juridiques, les instruments de planification ou les enjeux de souveraineté et de sécurité liés à l’eau.
Axe 3. Approche anthropo-historique : mémoire hydraulique et héritages culturels
Ce troisième axe invite à explorer les systèmes hydrauliques traditionnels du Maroc comme objets d’étude anthropologique et historique. Il s’agit de comprendre comment les sociétés marocaines ont, au fil des siècles, développé des techniques d’irrigation adaptées à des environnements arides ou semi-arides, tout en instituant des formes de gouvernance communautaire autour de l’eau. Les khettaras, seguias, foggaras ou encore les bassins collectifs sont autant de dispositifs qui témoignent d’un savoir-faire ancien, souvent transmis oralement, et qui ont structuré les rapports sociaux, les hiérarchies lignagères et les solidarités locales. Ce patrimoine hydraulique, aujourd’hui délaissé ou menacé par la modernisation et les changements climatiques, mérite d’être documenté, cartographié, analysé et mis en perspective. Les contributions pourront également interroger les processus de patrimonialisation de ces systèmes, les récits de mémoire qui les entourent, ainsi que les tensions entre tradition et innovation dans les approches contemporaines de gestion de l’eau.
Axe 4. Eau et religion au Maroc : sacralités, rituels et cosmologies
L’eau occupe une place centrale dans les traditions religieuses au Maroc, dans le judaïsme et l’islam, où elle est à la fois source de vie, moyen de purification et signe de la miséricorde divine. Dans le contexte marocain, cette dimension religieuse de l’eau est omniprésente, tant dans les textes sacrés que dans les pratiques quotidiennes, les rituels, les croyances populaires et les aménagements urbains et ruraux.
Par ailleurs, l’eau est porteuse de savoirs et de cosmologies. Elle est investie de significations multiples, souvent enracinées dans les traditions religieuses, les récits mythiques ou les pratiques rituelles. L’eau est alors perçue comme dotée d’une force vitale, capable de guérir, de protéger ou de purifier. Les fontaines publiques, les bassins des mosquées, les sources thermales ou les puits associés à des figures religieuses sont autant de lieux où se manifeste cette sacralité. Ces espaces sont souvent investis par des pratiques hybrides, mêlant sources religieuses, pratiques populaires et traditions culturelles anciennes. L’anthropologie de l’eau s’attache ainsi à comprendre comment les représentations culturelles et religieuses de l’eau orientent les comportements, les usages et les prises de décisions.
Cet axe propose d’explorer les formes de sacralisation de l’eau dans le judaïsme et l’islam marocain, en croisant les approches de l’anthropologie religieuse, des sciences religieuses et de l’ethnographie des pratiques rituelles. Il s’agit d’interroger les usages de l’eau dans les rituels religieux ; mais aussi dans les pratiques populaires liées aux sources bénies, aux saints et aux visites de sites.
En somme, cet axe vise à penser l’eau comme élément sacré et médiateur entre le divin, le social et le naturel, en mettant en lumière la richesse des imaginaires religieux et des pratiques rituelles qui lui sont associés dans le contexte marocain.
Axe 5. Ethnographie rurale et urbaine : pratiques, récits et vécus
Ce cinquième axe propose une immersion dans les pratiques quotidiennes liées à l’eau, à travers des enquêtes ethnographiques menées dans des contextes variés, qu’ils soient ruraux, périurbains ou urbains. Il s’agit de documenter les usages domestiques, agricoles ou rituels de l’eau, mais aussi les récits, les représentations symboliques et les imaginaires qui leur sont associés. Une attention particulière pourra concerner les productions culturelles et artistiques qui entretiennent la mémoire où divulguent les rapports à l’eau : récits, fables, contes, dictions, chants, poésies, …
Les contributions pourront également porter sur les inégalités d’accès à l’eau potable, les stratégies d’adaptation développées par les populations isolées, ou encore les formes de contournement des dispositifs en place pour l’accès à l’eau. Une attention particulière pourra être portée aux rôles genrés dans la gestion de l’eau, aux pratiques informelles dans les quartiers précaires, ou aux tensions entre usagers dans les zones de forte pression hydrique.
Axe 6. Sociétés contemporaines en perspective
Enfin, ce dernier axe s’intéresse aux transformations sociales et territoriales induites par les mutations contemporaines liées à l’eau. Le changement climatique, l’urbanisation accélérée, l’industrialisation, la croissance démographique et les réformes institutionnelles redéfinissent les rapports à l’eau et génèrent de nouvelles formes de vulnérabilité, de tension et de recomposition. Les contributions pourront analyser les rapports d’usage entre agriculteurs, industriels, collectivités locales et populations ; les mobilisations autour de la justice hydrique, ou encore les innovations sociales et technologiques mises en œuvre pour faire face à la pénurie. Ce volet encourage également les réflexions sur les recompositions territoriales, les migrations induites par la sécheresse, ou les transformations des modes de vie et des pratiques agricoles. L’eau devient ici un révélateur des mutations sociales, mais aussi un levier potentiel de résilience et de réinvention collective.
Modalités de soumission
Résumé (300 à 500 mots) à envoyer avant le : 27 octobre 2025
Texte complet (6 000 à 8 000 mots) attendu pour : 19 décembre 2025
Relecture et dernière correction : 9 février 2026
Langues acceptées : français, arabe, anglais
Les propositions doivent inclure : nom, affiliation, titre de la contribution, axe choisi, résumé, et courte bio/bibliographie.
Parution prévue avril 2026
Pour l’envoi de vos propositions et pour toute demande d’informations : rania.khechoubi chez uir.ac.ma
Comité scientifique
Farid El Asri, professeur d’université à Sciences-Po Rabat et chercheur au Center for Global Studies (CGS), Université Internationale de Rabat (UIR)
Sara Mejdoubi, professeure associée à Sciences-Po Rabat et chercheure au Center for Global Studies (CGS), Université Internationale de Rabat (UIR)
Michel Boyer, professeur associé à Sciences-Po Rabat et chercheur au Center for Global Studies (CGS), Université Internationale de Rabat (UIR)
Najib Mokhtari, professeur associé à l’Université Internationale de Rabat et chercheur au Center for Global Studies (CGS), Université Internationale de Rabat (UIR)
Note
[1] Dans le sens où l’entendait Marcel Mauss, c’est-à-dire un phénomène qui engage simultanément les dimensions biologiques, sociales, symboliques, politiques et spirituelles de l’existence humaine.
Page créée le mardi 28 octobre 2025, par Webmestre.