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Colloque
Mercredi 5 septembre 2018 (Université de Nanterre)
ORGANISATION :
Daniel Foliard (Paris Ouest Nanterre)
Lancelot Arzel (Centre d’Histoire de Sciences Po.)
Contact : dfoliard chez parisnanterre.fr
Les grands musées européens conservent pour la plupart des traces de pratiques de collecte de restes humains et de trophées de tous ordres opérée durant la période coloniale. Le phénomène, très répandu lors des guerres de conquête coloniale et des pacifications , de constitution de butins d’objets à forte portée symbolique pour les populations locales, voire de prélèvement de têtes humaines à des fins de recherche anthropologique ou de profanation, a suscité le développement de recherches de plus en plus dynamiques. La collecte de ces objets et de ces trophées n’a pas obéi aux mêmes logiques. Certains furent avant tout des trophées de guerre, enlevés dans la violence du combat, d’autres furent négociés dans un processus moins unilatéral. Les interventions mettront en valeur cette diversité des pratiques. C’est aussi le lien entre chasse et violence coloniale, qui explique en partie certaines de ces pratiques, qui a lui aussi attiré l’attention des historiens et qui sera examiné. Cette journée d’études analysera ces collectes telles qu’elles furent pratiquées par les Empires coloniaux dans la phase la plus rapide et la plus violente de leur expansion, de la fin du XIXème siècle à la Première Guerre mondiale, en Afrique, en Asie et en Océanie. Elle mettra en valeur non seulement la prise puis la circulation de ces prises de guerre et de ces objets négociés mais aussi leur vie sociale en métropole. La question des objets ethnographiques se pose d’ailleurs de façon plus vive à mesure que certains États demandent de plus en plus distinctement le retour de certaines œuvres prises par les Européens à l’occasion d’expéditions. Les trophées coloniaux sont un héritage lourd d’enjeux de mémoire, et parfois d’oubli, comme le démontre parfois leur traitement muséologique dans les grandes institutions européennes. Cette journée vise à analyser la diversité de ces rituels au cœur de la période d’expansion de l’influence européenne et de comparer les expériences de différents Empires. Elle entamera par ailleurs une réflexion sur la question des restitutions et les enjeux liés à la mise en relief de ces formes de violence coloniale à travers le regard de spécialistes venus de différents horizons.
9H – Accueil et introduction – Lancelot Arzel, Daniel Foliard
9h30-11h- Trophées ou spécimens ?
Kim Wagner (Queen Mary University of London) « But from the Skulls of the Slain » : empire, violence et collecte de restes Humains dans les Indes britanniques
(communication en anglais)
En 1963, un crâne humain fut découvert sous de vieilles caisses dans un pub du Kent, dans l’Est de l’Angleterre. On trouva une brève histoire de son parcours sur un papier glissé à l’intérieur. C’était le crâne d’Alum Bheg, un Cipaye - un soldat indien de l’armée britannique des Indes - exécuté durant la répression de la mutinerie de 1857 dans les Indes britanniques. Ligoté à la bouche d’un canon, Alum Bheg avait été pulvérisé. On l’accusait d’avoir horriblement tué plusieurs civils d’origine européenne, dont des femmes et des enfants, durant les troubles survenus dans une ville de garnison, Sialkot, dans l’actuel Pakistan. Les exemples de trophées de ce type, que ce soit des crânes ou d’autres parties du corps, sont nombreux, mais le cas d’Alum Bheg est exceptionnel. C’est le seul exemple connu de crâne resté en-dehors des processus de collecte muséale et anthropologique classiques et qui n’ait en outre pas été restitué. Cette intervention vise à replacer l’histoire d’Alum Bheg et de son crâne dans un contexte plus général de violence coloniale, qu’il faut considérer en lien, en particulier, avec les rituels d’exécutions publiques et les pratiques contemporaines de collectes de restes humains. La brutalité qui fut à l’origine de la circulation du crâne d’Alum Bheg, et qui était explicitement décrite dans la courte histoire jointe au reste humain, est révélatrice de la violence implicitement liée aux pratiques phrénologiques et anthropométriques du 19ème siècle. Le cas d’Alum Bheg - la collecte de sa tête et la conservation de son crâne – n’est pas isolé. Il est plus qu’un corps ennemi singulier. La « construction » du crâne d’Alum Bheg fut d’une certaine manière la continuation de la punition et de l’exécution qu’on lui appliqua. En ce sens, son histoire s’entremêle inexorablement avec les formes et les objectifs de la violence coloniale pratiquée dans l’empire britannique.
Leonor Faber-Jonker (African Studies Centre Leiden) Spécimens anthropologiques ou trophées de guerre ? La collecte de crânes pendant le génocide Herero et Nama (1904-1908)
(communication en anglais)
En septembre 2011, vingt crânes originaires de Namibie furent rapatriés par l’Hôpital universitaire de la Charité de Berlin. Ces restes humains étaient restés plus d’un siècle en Allemagne. Ils avaient été prélevés sur des victimes de la guerre menées par les troupes allemandes contre les Herero et les Nama. Ce génocide coûta la vie à près de quatre-vingt pour cent de la population Herero et à la moitié de la population Nama. La majorité de ces crânes arrivèrent à Berlin sous la forme de têtes préservées chimiquement. Toutes servirent à des fins scientifiques dans les premières décennies du vingtième siècle.
Cette intervention démontre que ces restes humains furent collectés à la fois comme des trophées et des spécimens anthropologiques. Elle débute par l’analyse d’une carte postale qui montre des soldats en train d’emballer des crânes. Cette image constitue un point d’entrée dans l’étude du rapport que les troupes impliquées dans la collecte entretenaient avec ces restes humains. Hantés par les rumeurs des traitements atroces supposément infligés par les Herero (on disait qu’ils mutilaient les soldats allemands) et plongés dans une guérilla confuse avec les Nama, ces militaires étaient habités d’un intense esprit de revanche. Cette intervention explore les parallèles entre ces pratiques et la collecte des « trophées cafres » par les Britanniques pendant les guerres xhosa. Dans les deux conflits, la conduite des troupes semble avoir été déterminée par des sentiments similaires de peur face à un terrain ennemi des adversaires inconnus.
Les conceptions de l’ennemi développées sur place par les troupes allemandes influencèrent les travaux des scientifiques qui travaillèrent sur ces restes humains. Ces têtes/crânes restèrent, inéluctablement, des trophées. Le statut qui fut le leur dans le passé a d’ailleurs des conséquences très actuelles. Ce travail montre dans un deuxième temps comment le fait que ces restes aient été des trophées a pu jouer un rôle dans le processus de rapatriement en 2011. Car c’est aussi parce que ces crânes ont été des trophées qu’ils constituent des preuves éminentes du génocide.
Cette intervention examine les archives de l’Hôpital universitaire de la Charité de Berlin de manière critique, en particulier les rapports de recherche. Elle s’appuie aussi sur d’autres documents qui traitent des restes Herero et Nama, plus récents et conservés dans d’autres fonds en Allemagne. La perspective raciste ouvertement exprimée par les scientifiques de l’époque face à des têtes qui sont, en partie, des spécimens anthropologiques, a été bien documentée et analysée par la recherche récente. Reste à trouver des voies d’analyse pour comprendre le pendant émotionnel de cette relation à des crânes qui sont aussi perçus comme des trophées, par des vainqueurs.
Gidena Mesfin Kebede (Université technique de Berlin, départment d’histoire de l’art, Translocations Project) Les restes d’un jeune prince éthiopien kidnappé et la question de leur rapatriement
(Communication en anglais)
En 1868, un conflit diplomatique entre la Grande-Bretagne victorienne et l’empereur Tewodros II (1855-1868) d’Éthiopie, alors appelée Abyssinie, dégénère en une expédition punitive. Une armée venue des Indes britanniques atteint Aroge, non loin de la capitale de Tewodros II, le 10 avril 1868. L‘infanterie britannique y affronte avec des armes modernes des troupes abyssiniennes équipées d‘armes traditionnelles : machettes, lances et boucliers. L’asymétrie du combat est telle que cet événement tient plus du massacre que de la bataille pour les historiens de cette campagne. Trois jours plus tard, l’armée britannique se met en marche contre Magdala, où se trouvent la forteresse et le palais impérial. Tewodros II se suicide pour éviter l’humiliation de la capture. La chute de la place forte est suivie d’une phase de pillage. Le butin accumulé est tel que deux cent mules et quinze éléphants sont nécessaires pour le transporter vers la côte. Ces prises de guerre comprennent plus de mille livres manuscrits dont de nombreux ouvrages enluminés, une couronne et un calice en or, de nombreux objets en argent et en bronze ainsi que des reliques sacrées. Après avoir libéré les otages européens qui avaient été le prétexte de l’expédition, les troupes britanniques emmènent avec eux la veuve de Tewodros II, la Princesse Terunesh, et son fils de sept ans, le Prince Alemayehu. Commence alors un long voyage vers l’Angleterre. La princesse meurt en route à Tigray, dans le nord de l’Éthiopie. L’enfant, une fois à Londres, devient le protégé de la Reine Victoria. Il décède tragiquement à dix-huit ans. Il est enterré dans la chapelle Saint-Georges du château de Windsor. Dès 1871, des demandes de restitutions des objets pillés se font jour. Elles vont se multiplier au fil des décennies. L’Éthiopie réclame en outre le retour de la dépouille d’Alemayehu. La dernière demande officielle date de 2007. Girma Woldegiorgis, le président de l’Éthiopie à l’époque, rédige alors une lettre officielle à cette fin. Dans cette intervention, j’examinerai le contexte historique de ces circulations, les demandes de restitution et les débats actuels sur le retour des restes du Prince Alemayehu.
11h-11h30 Pause
11h30-12h30 – Médiatisations et controverses
Paul Bijl (Utrecht University) La photographie d’atrocités coloniales dans les Indes néerlandaises : du trophée à l’oubli de réserve
(communication en anglais)
Cette intervention revient sur la biographie sociale d’un type de trophée collecté durant les guerres coloniales au tournant du vingtième siècle : les photographies célébrant la prise de villages indonésiens où l’armée hollandaise venait de commettre des atrocités de masse. Prises dans le but de montrer que les troupes avaient fait leur travail, ces clichés furent immédiatement matière à une polémique aux Pays-Bas où ils devinrent des objets très problématiques, aux yeux d’une partie de la population tout du moins. De nouvelles grilles d’interprétation étaient alors en train d’émerger, en particulier en ce qui concernait la nature de la mission civilisatrice européenne. Au long des vingtième et vingt-et-unième siècles, ces photographies ont régulièrement refait surface, d’une part comme bases d’une critique du passé colonial des Pays-Bas et, d’autre part, à l’instar d’autres reflets des atrocités coloniales pris comme des traces d’une histoire oubliée, comme les illustrations paradoxales d’un récit promouvant une forme d’innocence.
Daniel Foliard (Paris Ouest Nanterre), La tête de Rabah et le crâne du Mahdi : histoires croisées de trophées coloniaux français et britanniques
Rabah, l’une des figures de la résistance militaire à l’expansion française en Afrique est battu à la bataille de Kousséri en avril 1900. Sa tête décapitée est exposée pendant plusieurs jours aux abords du campement français après avoir été photographiée. Elle est ramenée par la suite à Paris où sa trace s’est perdue aujourd’hui mais qui fut étudiée au début du vingtième siècle comme spécimen anthropologique. Un an et demi plus tôt, ce sont les Britanniques qui défont leurs principaux ennemis dans la région du Nil, les Mahdistes, à la bataille d’Omdurman en septembre 1898. La tombe de Muhammad Ahmad est détruite par les troupes britanniques après la victoire, les ossements du fondateur de l’État mahdiste sont jetés dans le fleuve et son crâne, que Kitchener pense un temps envoyer à Londres, est finalement enterré dans une oasis égyptienne sous la pression de l’opinion publique naissante en métropole. La controverse agite en effet jusqu’au Parlement et le projet de donner le crâne du Mahdi au Royal College of Surgeons est abandonné. Durant la campagne militaire, la collecte de restes humains et d’artefacts s’inscrit dans une dynamique unique. Elle participe de rituels de victoire qui n’ont rien d’exceptionnel aux yeux des soldats français et britanniques engagés dans les combats sur place.
Puis, dans les deux cas, les vainqueurs rapportent sabres, drapeaux et objets pris à l’ennemi. Ce déplacement favorise les réinterprétations de la raison d’être de ces objets. Parfois même, comme le montre le destin du crâne du Mahdi, ce qui paraissait jusque-là acceptable cesse de l’être. Une fois déplacés dans les métropoles, un autre sens est en effet donné à certains de ces trophées. Ils deviennent des objets ethnographiques ou des spécimens anthropologiques. La part de violence guerrière qui les produit est en partie effacée. D’autres, au contraire, sont utilisés dans des mises en scène qui célèbrent les victoires britanniques et françaises dans ces guerres au loin. Cette intervention examinera les croisements entre les utilisations sélectives des trophées collectés pendant la campagne du Soudan (1898) et la fin de la campagne française contre Rabah (1900). La grande proximité entre les deux processus, et leurs différences, sera au cœur d’une analyse qui mettra en valeur le fonctionnement du co-impérialisme franco-britannique en matière de propagande, ainsi que les circulations entre les deux Empires en matière de pratiques guerrières.
12h30-14h00 –Pause
14h-15h – L’exemple du Congo
Maarten Couttenier - Royal Museum for Central Africa, De deux trophées du Congo en Belgique : objectifications craniologiques et ethnographiques
A travers l’étude de deux « objets » conservés au Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) et l’Université libre de Bruxelles (ULB), cette intervention explorera les thématiques croisées des butins réalisés au cours d’opérations militaires, de la mise en place du pouvoir colonial, des représentations, de l’expertise locale et des restitutions. Le premier objet est aujourd’hui conservé au sein du fonds ethnographique du MRAC sous la cote EO.0.0.7943. Il s’agit statue composite qui fut « collectée » par Alexandre Delcommune après une campagne dans la région de Boma en 1878, quelques mois après la naissance du Comité d’Etudes du Haut-Congo. Alors que les demandes de restitutions furent immédiates, Delcommune refusa de rendre l’objet sous prétexte qu’il faisait partie d’un « butin » légitime. Ce Nkisi –un type d’objet magique- fut envoyé en Belgique par bateau et montré dans des expositions en Europe et aux Etats-Unis. Le détail de l’histoire de ses déplacements révèle la permanence des demandes de restitution comme l’auteur a pu le constater lors d’une visite à Boma en 2016. Le deuxième « objet » est un crâne conservé à la Faculté de Médecine de l’ULB. L’auteur a localisé ce crâne il y a quinze ans et s’est rapidement rendu compte qu’il avait fait partie de la collection de la Société d’Anthropologie de Bruxelles créée en 1882. L’examen des papiers de Charles Lemaire des années plus tard a permis d’établir les circonstances troubles qui entourent l’acquisition de ce crâne. A travers l’histoire de ces deux objets, cette intervention explorera ainsi la question de la restitution des artefacts et des restes humains, un sujet encore largement ignoré en Belgique.
Lancelot Arzel (Centre d’Histoire de Sciences Po) Les trophées humains de la conquête. Découpe des corps, mise en trophée et guerres coloniales dans l’État indépendant du Congo (fin XIXe siècle-début XXe siècle)
À la fin du XIXe siècle, les « mains coupées » par les soldats de l’armée de conquête du roi Léopold II, au Congo, créent une onde de choc dans les imaginaires européens : jamais ramenées en métropole, elles illustrent à distance et aux yeux de nombreux observateurs, l’intensité des violences pratiquées contre les populations civiles de la région de l’Équateur par les hommes de la conquête – militaires européens et warlords africains. Cette communication examine de plus près la découpe des corps lors des très longues guerres de conquête coloniale qui marquèrent cet État indépendant du Congo (ÉIC) des années 1880 aux années 1910. Car il ne s’agissait pas que de mains : la découpe des corps concerna aussi bien les têtes, les parties sexuelles que d’autres éléments des corps morts.
Dans un premier temps, nous éclairerons les modalités de ces découpes, aussi bien les contextes guerriers, les acteurs que les phases de la conquête. Puis, nous analyserons la mise en trophée de ces restes humains dans les postes coloniaux ou auprès des populations civiles. Il s’agira de mettre en évidence les multiples logiques à l’œuvre, qu’elles relèvent de facteurs logistiques et militaires ou de raisons sociopolitiques et anthropologiques. Dans cette « rencontre » que constitue la conquête, nous verrons ainsi à quel point les pratiques combattantes des soldats coloniaux s’appuient puis modifient les pratiques autochtones. Dans un dernier point, tel un angle mort de la découpe des corps, nous verrons que ces trophées humains ont finalement peu circulé entre le Congo et le reste du monde, à la différence d’autres colonies : la grande campagne anticongolaise menée dès le début du XXe siècle contre l’administration de Léopold II mais aussi les écarts de sensibilités existant entre les hommes de la conquête et les sociétés européennes expliquent, en partie, cette absence de circulation des trophées vers les métropoles. Leur seule présence sera iconographique.
Pour mener à bien cette communication, nous nous appuierons sur les témoignages rapportés par les militaires européens en charge de la conquête comme par des observateurs civils, sur les archives de la Commission d’Enquête de 1904-1905 mais aussi sur les photographies en circulation de ces « atrocités » comme sur les sources orales locales collectées une fois la conquête terminée.
15h-15h30 – Pause
15h00-16h30 – Le sens des « objets » : Regards croisés sur les circulations
Christelle Patin (Centre Alexandre-Koyré) Le traitement ordinaire ou extraordinaire des restes humains patrimonialisés - Le cas des têtes de chefs kanak.
A partir de la reconstitution précise du traitement post-mortem des têtes de chefs kanak de l’insurrection de 1878, de leur récolte, étude, exposition à leur patrimonialisation actuelle, nous tenterons de cerner les éventuelles spécificités de leur parcours et mise en récit au sein de la destinée ordinaire des autres spécimens anthropologiques. Finalement, le musée parvient-il à transformer le trophée de guerre en un objet d’étude ordinaire ?
Felicity Bodenstein, Technische Universität, Berlin Où est Idia ? La reine-mère comme « personne distribuée » ou le destin des masques en ivoire de Benin City pillés en 1897
Les cinq masques en ivoire de la reine-mère Idia (16e siècle) sont sans doute les objets les plus iconiques du butin de plus de 3000 pièces emportés par les troupes de la « mission punitive » britannique qui envahit le royaume de Benin (dans le sud-ouest du Nigéria actuel) en février 1897. Cette présentation met en regard les trajectoires de ces objets dispersés avec les images de la reine-mère Idia qui prolifèrent à Benin City en tant que « substituts » des objets perdus. Il s’agit de faire dialoguer deux manières de percevoir « Idia », grande figure historique de la protection du royaume. L’une se fixe sur les objets matériels singuliers, les artefacts « historiques » ou « authentiques » conservés dans les musées d’Europe et d’Amérique du nord. Elle s’est formée au fil des accumulations successives des significations données à ces objets au gré de leurs déplacements depuis 1897. L’autre est constituée des perceptions locales, régionales et nationales construites autour de la tension entre l’absence de ces pièces et la possibilité de retrouver « Idia » dans la production d’objets et d’images nouvelles.
Marie Cornu Directrice de recherches CNRS à l’Institut des Sciences sociales du Politique (ISP, UMR 7220, ENS Paris Saclay, Université Paris Nanterre, CNRS) Le droit et la restitution des restes humains
Dans l’univers du droit, les restes humains ont un statut particulier. Juridiquement devenus « choses » à la disparition de la personne, ils n’en sont pas moins des choses particulières en ce qu’ils sont revêtus d’une dimension sacrée. En règle générale, les biens sacrés ne sont pas une catégorie juridique du droit contemporain du moins dans un certain nombre de systèmes dont le droit français et contrairement à ce que connaissait le droit romain. Ils sont, en principe librement dans le commerce, ce qu’ont pu confirmer les juges saisis de plusieurs demandes de restitution de ce type de biens (à propos notamment de masques Hopis, propriété collective d’une tribu amérindienne). Les restes humains font cependant exception. Ils doivent être, au sens du Code civil traités avec respect et ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial (art. 16-1 et suivants du Code civil). Ils sont pourtant intégrés dans nos collections publiques. En réalité, la question de la place des restes humains au musée n’a guère soulevé de questions jusqu’à une époque assez récente. Les demandes contemporaines de retour ou de restitutions ont nourri un débat sur leur singularité au sein des collections et sur la possibilité même de leur appropriation. Le plus souvent, ces demandes concernant des collectes anciennes se heurtent en France au statut des collections publiques (inaliénabilité, imprescriptibilité). La discussion s’est notamment nouée autour d’une initiative de restitution d’une tête de guerrier maori présente dans un musée de France. La ville de Rouen avait pris la décision de la restituer à sa communauté d’origine, se fondant sur le principe de dignité et le respect dû aux morts. Les juges ont censuré cette décision en invoquant précisément le régime de domanialité publique. Le droit civil ne fait pas obstacle à leur situation d’éléments de collection publique soumis au dispositif du Code du patrimoine. Ces biens seraient finalement des biens culturels comme tout autre sous le rapport de leur régime propriétaire, solution critiquée par la société civile et par un certain nombre de parlementaires. Cette forme de déni a conduit à une intervention législative (comme en l’occurrence dix ans plus tôt, dans le cas de la Vénus hottentote). D’autres exemples contemporains questionnent le statut de ces biens et, dans l’espace international, la façon dont peuvent être appréciées des revendications de retour, restitution, rapatriement. Les questions juridiques ne sont, en l’occurrence, pas seules mobilisées dans la réflexion sur la condition des restes humains et leur traitement institutionnel et patrimonial. Fortement déterminées par une dimension éthique, elles doivent aussi être mises en relation avec le ressort de la déontologie.
16h30-17h00 – Conclusion Sébastian Minchin, Directeur-Conservateur du Muséum d’histoire naturelle de Bourges
(Re)Lire / Écouter / Voir
Mardi 12 mai 2020
Ce numéro dirigé par Lancelot Arzel et Daniel Foliard, propose d’aborder frontalement la question des pratiques de collecte d’objets et de restes humains dans le contexte des conquêtes coloniales du début du XIXe siècle à la veille de la Première Guerre mondiale. Croisant les expériences de différents empires européens, le retour au terrain proposé permet de montrer la centralité des guerres coloniales et la transformation concomitante de ces artefacts et restes humains en « trophées ».
Sommaire :
Anthropological Specimens or War Trophies ? The Practice of Collecting and Studying Human Remains of Victims of the Herero and Nama Genocide in German South West Africa, 1904-1908, Leonor Faber-Jonker
Une typologie des prises de butin à Benin City en février 1897, Felicity Bodenstein
Les « sanglants trophées » de la conquête. Découpe des corps et guerres coloniales dans l’État indépendant du Congo fin XIXe siècle-début XXe siècle, Lancelot Arzel
La tête de Rabah et le crâne du Mahdi. Histoire croisée de trophées coloniaux français et britanniques, Daniel Foliard
Entre science et sauvagerie. Crânes-trophées et pratiques de collecte dans l’Empire britannique au XIXe siècle, Kim A. Wagner
Horace Vernet’s Tête Arabe : The Artist as Colonial Collector, Jennifer Sessions
Page créée le dimanche 12 juillet 2020, par Dominique Taurisson-Mouret.