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Appel
Date limite de soumission : lundi 28 février 2022
Partant du tissu comme objet patrimonial, la journée d’études 2022 des laboratoires CHCSC (centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines) et Dypac (Dynamiques patrimoniales et culturelles) de l’université Versailles-Saint-Quentin / Paris-Saclay) vise à traiter conjointement les approches matérielles (étude des matériaux textiles appliquée à l’archéologie, problématiques de conservation des tissus, altérations chimiques des tissus, savoir-faire textile…) et conceptuelles (symbolique du tissu, tissu et position sociale, échanges interculturels via le tissu, tissus passeurs d’histoire…) de la recherche sur le tissu.
Lorsque Dieu chasse Adam et Ève du Jardin d’Éden, dans la Genèse, il leur donne des tuniques pour se vêtir. Ce passage est hautement symbolique : il associe le vêtement, de même que le travail, à la condition humaine. Dans la Bible, le tissu devient ainsi une expression du péché de l’homme et de la femme, désormais conscients de leur nudité, et une expression de leur humanité déchue. Paradoxalement, au fil des âges, et avec l’évolution des textiles, le tissu s’est vu associé à une forme de dignité humaine, soulignant le lien intrinsèque entre matérialité et sens. Les acteurs de sa production et de sa commercialisation doivent pourtant se battre pour leur propre dignité dans la société qu’ils contribuent à habiller, et c’est autour du tissu et de sa confection qu’émergent certaines des révoltes les plus violentes qui suivent l’industrialisation et la redéfinition de la position de l’homme par rapport à la machine telles celles des Canuts lyonnais et les Luddites du Lancashire.
L’invention du tissu, une surface composée de fils régulièrement entrelacés, remonte à la préhistoire et répond à la nécessité de se vêtir pour se protéger des intempéries et remplir des codes culturels. Dès sa naissance, on emmaillote le bébé et à la mort, on recouvre le corps du défunt d’un linceul. Le tissu survit généralement à son propriétaire ; il est ré-utilisé, retaillé et retravaillé pour suivre les changements dictés par des modes éphémères. Lorsqu’il parvient, malgré sa fragilité, à remonter les époques, il devient le témoignage précieux d’une civilisation passée.
Si le tissu s’ancre ainsi dans une dimension avant tout matérielle, il convient cependant de ne pas s’y arrêter. Nous nous proposons ainsi d’étudier le tissu comme un marqueur culturel, social et genré, évoluant au fil des époques et des aires géographiques. Le tissu peut être traité comme « agent de civilisation », à la manière dont nous y invitent Régis Debray et Patrick Hugues. Le tissu porté définit ; pour se soustraire à un rôle social prédéterminé par un contexte donné, il faut se déguiser, à l’instar de comédiens qui deviennent un nouveau personnage en changeant de costume. Les draps, nappes, tapis, rideaux et autres tissus domestiques dénotent également d’usages changeants et sont autant de marqueurs sociaux. Poussée à l’extrême, l’ostentation des tissus se transforme en arts de la sphère domestique : tapisseries, dentelles… Mais le tissu déborde également le cadre domestique pour devenir un art à part entière, voire une pleine représentation, comme le démontre la tenture de l’Apocalypse à Angers. L’aspect matériel du tissu peut également devenir allégorique ; on pense par exemple à Paul Valéry qui compare l’écriture à un « métier à tisser », faisant de l’écrivain un tisserand, dont les mots deviennent autant de fils pour la confection de son œuvre. Il conviendra dès lors d’étudier le tissu sous ses angles matériels mais également sociaux, genrés, culturels et anthropologiques. Il ne s’agit pas de traiter matière et représentations séparément, mais conjointement, de les faire dialoguer l’une avec l’autre, quitte à précisément montrer les tensions d’un tel dialogue. Nous souhaitons donner à cette étude une approche pluridisciplinaire, où l’apport de disciplines variées, comme l’archéologie, la littérature ou la conservation du patrimoine sera valorisé.
1. Matière communicante
Le premier axe s’attache à la dimension communicante des tissus. Par ce qu’ils sont, par ce qu’ils montrent et par ce qu’ils symbolisent, les tissus sont porteurs de significations. Le tissu communique d’emblée par ce qu’il est : sa couleur, la qualité de sa matière, enfin les techniques mises en œuvre pour le tisser et le décorer traduisent à eux seuls le fonctionnement de la chaîne productive à l’origine de sa fabrication. Tous ces éléments renseignent alors sur sa provenance, tout comme sur le statut social de qui peut le posséder. Porté sous la forme d’un vêtement, il protège le corps du monde et le met en scène, ancrant l’identité de la personne qui s’en revêt dans un réseau de connotations. À ce titre, il fait partie du langage non verbal régissant une partie des interactions humaines et participant de la définition des identités : un uniforme, un vêtement coutumier, ou même un style vestimentaire mis en œuvre presque inconsciemment situent l’individu par rapport à la collectivité. Quel que soit son usage, le tissu est également un support sur lequel viennent se déposer des messages, des décors comme ceux des tapisseries de la manufacture des Gobelins, des slogans jusqu’à devenir lui-même, tels les drapeaux, un symbole. Enfin, le tissu peut se faire verbe dans certaines traditions, comme c’est le cas des quipus incas dont les nœuds forment un langage à part entière.
2. Mé-tissages
Au-delà de sa dimension matérielle, le tissu est un opérateur du dialogue. Par le moyen du tissu il est possible de réfléchir et découvrir les potentialités techniques, sociales, culturelles et même intergénérationnelles autour d’une matière. Depuis la route de la soie, le tissu devient une forme de dialogue entre l’Orient et l’Occident et instaure une tension entre deux civilisations que ne cesseront pas de se regarder et de se découvrir. Chargé de sens, le tissu est capable d’élargir la pensée d’une génération à une autre pour transmettre un savoir-faire. La couleur, la matière ou même la coupe d’un tissu peuvent devenir un objet du passé et de transmission au sein d’une famille. Finalement, le tissu retrace l’organisation d’une société : un statut social et la place de ses membres au sein de celle-ci. Le tissu est un élément commun où se retrouvent diverses pensées, cultures, langues pour échanger, partager et même se contredire. De cet échange se produit l’imprévisible : le métissage. Ces circulations et réappropriations sont particulièrement visibles à travers l’exemple du wax, tissus issus du réemploi par les colons anglais et néerlandais des techniques d’impression à la cire perdue des batiks javanais, devenus un marqueur identitaire dans de nombreux pays africains.
Ce phénomène se produit certes d’une part par la violence de la colonisation, mais aussi par les dynamiques migratoires, ou de simples contacts commerciaux. Le métissage que nous souhaitons aborder ne se limite donc pas forcément au douloureux héritage de la colonisation, mais permettrait notamment d’explorer la prise de conscience de l’Autre et l’idée du monde comme un réseau en partage. Étant une matière qui a divers usages, elle échappe à toute caractérisation et détermination qui pourrait la figer. Le tissu est un objet qui peut retracer les pratiques qui ont permis, selon Serge Gruzinski, une grande place à la nouveauté et à l’invention. Le tissu comme le dialogue est un processus créatif qui ne s’achève jamais.
3. Passation, altération, destruction et invention du patrimoine tissé
La question de la transmission des tissus anciens est un autre axe important. Il s’agit en effet d’un matériau fragile dont la matière organique connaît des processus de dégradation rapides et destructeurs auxquels n’échappent, sur le long terme, que les tissus enfouis dans des conditions exceptionnelles. Mais ces reliquats mêmes ne sont pas sans subir des altérations profondes, à l’image des tissus minéralisés au contact d’objets métalliques trouvés en contexte archéologique. On pourrait parler alors de « transformission » au sens des archéogéographes : une transmission qui n’exclut pas la transformation ou, plus exactement, une transformation qui permet la transmission. Ce concept pourrait servir à regrouper l’ensemble des mutations physico-chimiques que subissent les tissus au cours du temps, constituant autant de programmes de conservation en cours et à venir, mais également les réinventions constantes des significations qui leur sont associées, selon les modes ou suivant des transformations culturelles plus profondes.
À ces processus non linéaires de transmission, s’ajoute celui de la patrimonialisation des tissus. Face à ceux investis d’une valeur universelle (tissages « Al Sadu », jamdani ou du Mosi classés par l’UNESCO, tout comme la technique javanaise du batik) ou nationale (drapeaux, uniformes), quelle place accorder au tissu d’un patrimoine plus discret, familial (linge de maison) ou populaire (bleu de travail) ? Quelle place également conférer au matrimoine textile afin de redonner son importance à des pratiques souvent féminines ?
4. Transgresser et transfigurer
Un dernier axe consistera à explorer les dépassements du tissu, c’est-à-dire les processus par lesquels des tissus sont imités par d’autres matériaux, où interagissent avec eux de façon à remettre en question leur matérialité première. Le récent emballage de l’Arc de Triomphe à Paris a une nouvelle fois montré le pouvoir de transfiguration des installations textiles conçues par l’artiste Christo. Les propriétés matérielles du tissu employé, à savoir une toile en polypropylène tressé, bleue vue de près et argentée de loin, rigide mais produisant des effets de drapé, ont ainsi temporairement modifié notre lecture d’un monument emblématique. Dans le même esprit, cette journée d’études s’intéressera aux communications étudiant l’impact qu’un tissu et sa composition peuvent exercer sur le patrimoine et la perception de celui-ci par la société.
De manière plus générale, seront également bienvenues les interventions traitant de tout tissu « transgressant » ses traditionnels rôles et/ou sa composition. Par exemple, que dire des tissus qui n’en sont pas mais en donnent l’illusion ? Si l’on pense à la tradition italienne, de Giuseppe Sanmartino à Giovanni Strazza, consistant à sculpter dans le marbre des effets de voiles translucides plus vrais que nature, la question se pose en effet de savoir quelles visées symboliques et intellectuelles l’imitation artistique d’un tissu peut servir. Cette journée sera donc aussi ouverte aux contributions élaborant sur ce que transmettent de tels « faux » tissus.
Organisation
Comité scientifique : Ariane Fennetaux, Anaïs Fléchet, Pauline Lemaigre-Gaffier, Fabienne Médard
Comité d’organisation : Anaïs Blesbois, Mahaut Cazals, Alice Decouvelaere, Raphaël Devred, Marie-Anne Jagodzinski, Alison Pinot, Alejandra Orias Vargas
Calendrier
Retour des propositions au plus tard : le 28 février 2022
Réponses au plus tard le : le 12 mars 2022
Modalités de soumission
Cette journée d’étude se veut pluridisciplinaire et ouverte à différents champs de recherche issus des sciences humaines et sociales (anthropologie, histoire, sociologie, histoire de l’art, musicologie, lettres, histoire sonore, droit, langues, etc). Cet appel à communications est ouvert à tous les doctorants et jeunes docteurs ayant soutenu leur thèse ces dernières années, en France ou à l’étranger.
Les communications se feront en français ou en anglais. Les propositions de communication (env. 500 mots) sont à envoyer, accompagnées d’une courte présentation de l’auteur (comprenant le titre, la discipline de la thèse, l’année de soutenance le cas échéant ainsi que l’université ou l’organisme de rattachement, sa bibliographie) au plus tard le 28 février 2022 à doctorants.chcsc chez gmail.com
Colloque
Jeudi 12 mai 2022 (Campus Versailles)
Page créée le mardi 18 janvier 2022, par Webmestre.