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Appel
Date limite de soumission : mardi 15 juillet 2025
Le présent colloque cherche à ouvrir une réflexion collective sur les relations qui, à travers la littérature, forgent une résistance active aux structures coloniales. Comment les pratiques qui se développent autour du littéraire (écritures, co-écritures, réécritures, études théoriques, traductions) peuvent-elles constituer des espaces de corésistance et de solidarité ?
« Solidarity is an uneasy, reserved, and unsettled matter that neither reconciles present grievances nor forecloses future conflict. » (Tuck et Yang 2012 : 3)
Comme le soulignent Eve Tuck et K. Wayne Yang (2012), la question de la solidarité en contexte colonial se doit d’être complexe. Il est impératif de s’interroger quant à ses possibilités et ses limites. Le présent colloque cherche à ouvrir une réflexion collective sur les relations qui forgent une résistance active aux structures coloniales. Comment les pratiques littéraires peuvent-elles constituer des espaces de corésistance et de solidarité ?
Corésistances autochtones
Dans The Inconvenient Indian : A Curious Account of Native People in North America, l’écrivain Cherokee Thomas King aborde avec humour l’impact du regroupement de toutes les Premières Nations sous un même terme — celui d’« Indien » —, qui pourrait aussi bien être celui d’« Autochtone » (2012 : 83). Afin de lutter contre cet amalgame, certain·es intellectuel·les insistent sur l’importance d’investir, dans le domaine de la critique littéraire, les connaissances spécifiques à chaque nation (Womack 1999). L’universitaire d’ascendance Chickasaw Chadwick Allen propose, pour sa part, une méthodologie transautochtone complémentaire aux études centrées sur la nation (Allen 2012 : 14). Comment peut-on réfléchir aux relations entre les peuples autochtones à travers leurs productions culturelles sans imposer un regard homogénéisant sur l’autochtonie ?
Si la mondialisation a contribué à l’assimilation, elle a aussi permis l’émergence de mouvements sociaux internationaux qui vont à l’encontre des politiques coloniales (Burdette 2019). Soulignons, avec l’autrice Nishnaabeg Leanne Betasamosake Simpson (2017), que les relations diplomatiques entre les peuples font partie des pratiques culturelles autochtones depuis des millénaires. En s’intéressant à la création d’anthologies qui regroupent les littératures autochtones en catégories génériques ou linguistiques, telles que Mots de neige, de sable et d’océan (2008), on peut se demander : comment comprendre la contemporanéité de ces réseaux de corésistance sans effacer l’historicité des rapports entre différentes nations autochtones ?
Réfléchir aux collaborations et aux dialogues transautochtones implique la prise en compte de la pluralité linguistique. La traduction, « d’une langue coloniale à une autre » (Moyes 2018), mais aussi entre langues autochtones, à travers notamment les projets de traduction collaborative, pourrait contribuer à établir des relations entre des peuples autochtones. Toutefois, considérant « les structures éditoriales coloniales et extractivistes » (Des Rochers 2023 : 21) ainsi que les dangers de la traduction ethnocentrique (Berman 1984), peut-on vraiment penser à une pratique éthique et rigoureuse de la traduction alors que le colonialisme de peuplement organise tous nos rapports ?
Corésistances internationales
Les emprunts théoriques et les pratiques intertextuelles mettent en dialogue les luttes décoloniales, créant ainsi un réseau global de corésistance et de relations, un Tout-Monde (Glissant 1997). Pensons, par exemple, à l’investissement du psychiatre martiniquais Frantz Fanon dans l’indépendance algérienne et à son incontestable apport aux réflexions sur la décolonisation. Plusieurs décennies plus tard, l’auteur Dene Glen Sean Coulthard (2021) mobilise les théories de Fanon, de Karl Marx et de la négritude afin de formuler une critique de la politique de reconnaissance et de réconciliation menée par l’état colonial canadien.
En littérature, pensons à l’autrice Innu Natasha Kanapé Fontaine qui, dans Bleuets et abricots (2016), développe plusieurs réseaux ancrés dans la mémoire des luttes anticoloniales. L’auteur Anishinaabe David Groulx insère son recueil de poésie, From Turtle Island to Gaza (2019), dans un réseau de solidarité qui se voit renforcé par le plus récent recueil de poèmes de l’auteur trans et bispirituel Smokii Sumac, de la nation Ktunaxa, Born Sacred : Poems for Palestine (2025). En quoi le recours à l’emprunt, la citation et la réécriture, pour marquer une distance ou des similitudes entre différentes réalités coloniales, permet-il aux auteurices de réfléchir à leur propre situation ? Comment peut-on lire les implications des résurgences littéraires autochtones dans les luttes sociales actuelles ?
Corésistances intersectionnelles
Plusieurs écrivain·es ont souligné autant l’aspect genré du racisme que l’aspect racial du sexisme, de l’homophobie et de la transphobie. Ces catégories coloniales et occidentales ont un impact aussi bien sur les femmes et les personnes bispirituel·les et indigiqueers (McMullin 2013, Chacaby 2016, Whitehead 2022) que sur les hommes. Des liens sont certainement à tracer entre les travaux de l’universitaire allochtone Sam McKegney et de Smokii Sumac sur les masculinités autochtones et ceux de Ronald L. Jackson II (2006) et de Mark Anthony Neal (2005) sur les masculinités noires. La féministe africaine-américaine Tiffany Lethabo King (2019, 2021) élabore d’ailleurs des outils pour réfléchir les espaces liminaires à travers lesquels les réalités noires, autochtones et queers peuvent converger pour remettre en question l’hégémonie épistémique occidentale.
Les possibilités de corésistance entre les communautés noires et autochtones sont abordées par Leanne Betasamosake Simpson et l’autrice afro-canadienne Robyn Maynard (2022). Parallèlement, les chercheuses queers Sarah Hunt et Cindy Holmes, respectivement Kwakwaka’wakw et allochtone, proposent une « methodology of allyship [that] centers relational knowledge production, conversation, dialogue, and personal storytelling » (2015 : 156). Les chercheuses Sarah de Leeuw, Emilie Cameron (allochtones) et Margo Greenwood (Crie) (2012) présentent elles aussi leur amitié interculturelle comme un espace de réflexions critiques anticoloniales. Quelles sont donc les possibilités et les limites des amitiés intersectionnelles ? Quelles méthodologies relationnelles et littéraires peuvent en émerger ?
Les propositions peuvent porter, sans s’y limiter, sur les axes suivants :
Les réseaux littéraires transautochtones et anticoloniaux
Les coécritures et la recherche collaborative en littérature
Les réécritures littéraires et essayistiques
L’intertextualité comme mise en relation
Les anthologies et les correspondances littéraires
La traduction comme coécriture ou réécriture
La traduction collaborative
Les constellations de corésistance (Simpson 2017) et la pensée archipélique (Glissant 1997) comme théories de la relation
Les amitiés littéraires anticoloniales
Les études queers et de genre intersectionnelles
Le rôle de la critique dans les réseaux de solidarité
Modalités de contribution
Nous encourageons les propositions de communications en recherche et en recherche-création, sous forme essayistique, de performance, d’explication de la démarche créative, de même que les propositions de tables rondes. En outre, nous invitons les chercheureuses à réfléchir au format et au contexte de leur recherche ainsi qu’à la manière dont ceux-ci permettent ou entravent l’échange et la solidarité. Les propositions (300 mots), en anglais ou en français, doivent être accompagnées d’une biobibliographie (100 mots) et envoyées à l’adresse courriel solidarites.anticoloniales chez gmail.com
au plus tard le 15 juillet 2025.
L’équipe d’organisation : Ana Kancepolsky Teichmann (elle), Maude-Lanui Baillargeon (elle) et Maxime Poirier-Lemelin (iel)
Bibliographie
Allen, Chadwick. Trans-Indigenous : Methodologies for Global Native Literary Studies, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2012.
Berman, Antoine. L’épreuve de l’étranger. Culture et traduction dans l’Allemagne romantique, Paris, Gallimard, 1984.
Burdette, Hannah. Revealing Rebellion in Abiayala : The Insurgent Poetics of Contemporary Indigenous Literature, Tucson, University of Arizona Press, 2019.
Chacaby, Ma-Nee. A Two-Spirit Journey : The Autobiography of a Lesbian Ojibwa-Cree Elder, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2016.
Coulthard, Glen Sean. Red Skin, White Masks : Rejecting the Colonial Politics of Recognition, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014.
Des Rochers, Arianne. « No ethical translation on stolen land ? Réflexions inachevées sur la traduction des littératures autochtones », Spirale, nº 284 (2023), p. 18-23.
Fanon, Frantz. Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961.
Gatti, Maurizio. Mots de neige, de sable et d’océan : littératures autochtones, Wendake, Éditions du CDFM, 2008.
Glissant, Édouard. Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997.
Groulx, David. From Turtle Island to Gaza, Edmonton, AU Press, Athabasca University, 2019.
Hunt, Sarah, et Cindy Holmes. « Everyday Decolonization : Living a Decolonizing Queer Politics », Journal of Lesbian Studies, vol. 19, no 2 (2015), p. 154‑172.
Jackson II, Ronald L. Scripting the Black Masculine Body : Identity, Discourse, and Racial Politics in Popular Media, Albany, State University of New York Press, 2006.
Kanapé Fontaine, Natasha. Bleuets et abricots, Montréal, Mémoire d’encrier, 2016.
King, Thomas. The Inconvenient Indian : A Curious Account of Native People in North America, Toronto, Doubleday Canada, 2012.
King, Tiffany Lethabo. « Some Black feminist notes on Native feminisms and the flesh », Environment and Planning D : Society and Space, vol. 39, nº 1 (2021), p. 9-15.
King, Tiffany Lethabo. The Black Shoals : Offshore Formations of Black and Native Studies, Durham, Duke University Press, 2019.
de Leeuw, Sarah, Emilie S. Cameron et Margo L. Greenwood. « Participatory and community-based research, Indigenous geographies, and the spaces of friendship : A critical engagement », The Canadian Geographer, vol. 56, nº 2 (2012), p. 180-194.
Maynard, Robyn, et Leanne Betasamosake Simpson. Rehearsals for Living, Toronto, Knopf Canada, 2022.
McMullin, Dan Taulapapa. Coconut Milk, Tucson, University of Arizona Press, 2013.
McKegney, Sam. « Strategies for Ethical Engagement : An Open Letter Concerning Non-Native Scholars of Native Literatures », Studies in American Indian Literatures, vol. 20, nº 4 (hiver 2008), p. 56-67.
Moyes, Lianne. « From one colonial language to another : translating Natasha Kanapé Fontaine’s “Mes lames de tannage” », TranscUlturAl, vol. 10, n⁰ 1 (2018), p. 64-82.
Neal, Mark Anthony. New Black Man : Rethinking Black Masculinity, Londres, Routledge, 2015.
Simpson, Leanne Betasamosake. As We Have Always Done : Indigenous Freedom through Radical Resistance, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2017.
Sumac, Smokii. Born Sacred : Poems for Palestine, Halifax, Roseway Publishing, 2025.
Tuck, Eve, et K. Wayne Yang. « Decolonization is not a metaphor », Decolonization : Indigeneity, Education & Society, vol. 1, no 1 (2012), p. 1‑40.
Whitehead, Joshua. Making Love with the Land, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2022.
Womack, Craig S. Red on Red : Native American Literary Separatism, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1999.
Colloque
2-3 octobre 2025 (Université Laval, Kepek/Québec)
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