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« Relations sociales, relations raciales dans les trois Guyanes » /« Social relations, racial relations in the three Guianas »

Coordination du numéro :
- Stéphanie Guyon, MCF en science politique, Université de Picardie Jules Vernes
- Marie-Hélène Sa Vilas Boas, MCF en science politique, Université Nice Sophia-Antipolis

Ce numéro des Cahiers des Amériques Latines interroge l’articulation entre les clivages ethno-raciaux et les trajectoires sociales et politiques des trois Guyanes. Il vise à définir quand et comment les relations ethno-raciales constituent un enjeu pertinent de différenciation et de discriminations dans ces trois territoires. Sans nécessairement adopter une perspective comparée et même s’il ne porte que sur l’un de ces pays, les articles de ce dossier appréhenderont ces territoires comme un ensemble dynamique caractérisé par d’importantes circulations transfrontalières (des individus et populations, des marchandises mais aussi des mobilisations, des normes sociales et politiques…).

Inégalement connues en France, les trois Guyanes, c’est-à-dire le Guyana, le Suriname et la Guyane française, ont essentiellement fait l’objet de travaux de synthèse rappelant leur unité physique, leur histoire précolombienne commune, leur colonisation par des puissances non ibériques et leur caractère multiculturel [Devèze, 1968 ; Giacottino, 1995]. A l’exception des récents travaux du réseau 3 G[1], rares sont les études comparatives en sciences sociales proposant davantage qu’un panorama général de ces territoires. Les trajectoires différenciées de chacune des Guyanes au 20ème siècle expliquent en partie qu’elles aient été appréhendées séparément : le Guyana et le Suriname ont conquis leur indépendance à l’égard respectivement du Royaume Uni en 1966 et des Pays Bas en 1975 alors que la Guyane française est restée sous souveraineté française.

Pourtant, les Guyanes se distinguent aussi du reste de l’Amérique latine par leur ancrage dans l’« Amérique noire » et la diversité de leur population[2], parfois qualifiée de « mosaïque »[3]. Les Guyanes sont traversées par des dynamiques socio-politiques analogues. Au Suriname, au Guyana et en Guyane française, selon des chronologies et des processus différenciés, les groupes dominants, en particulier les Créoles sont progressivement devenus une minorité numérique, tout en ayant conservé un pouvoir politique et administratif important [Singh, 2008 ; Misir, 2007 ; Mam Lam Fouk, 2015]. Les Noirs marrons et les Amérindiens du Suriname et de la Guyane française partagent en outre une position minoritaire analogue, à l’origine de discriminations multiples mais également d’un processus de politisation des questions ethniques [Guyon, 2010 ; Price, 2012]. On se demandera comment les relations sociales, politiques et administratives sont reconfigurées, renouvelées ou au contraire maintenues avec l’évolution numérique des divers groupes ethno-raciaux. Plus précisément, le dossier questionnera les représentations associées aux groupes ethno-raciaux en fonction de ces dynamiques migratoires, les positions sociales et politiques de leurs membres et les processus de politisation de l’ethnicité dans chacune des Guyanes.

Si ce numéro interroge l’articulation entre les clivages ethno-raciaux et les relations sociales et politico-administratives, il questionne également les approches érigeant les relations ethniques en facteur explicatif incontournable des dynamiques sociales et politiques sur ces territoires. Cet angle d’analyse obscurcit l’analyse lorsqu’il reproduit les catégories ethno-raciales circulant dans les Guyanes, sans les questionner à l’aune d’autres rapports sociaux, à l’image du genre, de la classe ou de la division urbain/rural. Les travaux de Fred Constant [1994] sont à cet égard illustratifs. En se fondant sur une comparaison entre plusieurs pays des Caraïbes, parmi lesquels la Jamaïque, Haïti et Porto Rico, Constant montre qu’en dépit de l’importance des clivages ethniques et religieux dans l’espace social de ces trois pays, ces derniers ne trouvent pas à s’exprimer dans le champ politique. Parce qu’ils ne recoupent pas d’autres divisions sociales, telles que les inégalités socio-économiques et territoriales, ils ne font pas l’objet d’une politisation par des entrepreneurs politiques.

Les contributeurs/trices sont, plus précisément, invité.e.s à inscrire leur proposition dans l’un de ces trois axes  :

- Legs colonial, catégorisations ethnoraciales et rapport de pouvoir :

Comment les relations ethnoraciales contemporaines prolongent ou recomposent des hiérarchies coloniales ? Quelles sont les dynamiques de catégorisation à l’œuvre dans chacune des Guyanes et dans l’ensemble du plateau des Guyanes. Comment les processus de catégorisation ethno-raciales se transforment-ils en processus discriminatoires ? La sociologie, la socio-linguistique et l’anthropologie de différentes institutions étatiques (école, hôpital) en Guyane ont souligné les processus d’étiquetage des patients et élèves issus des groupes migrants ou des groupes locaux minorisés et les effets discriminatoires de ces catégorisations ethniques sur les pratiques professionnelles des agents de l’État [Alby et Léglise, 2006 ; Carde, 2010 ; Léobal, 2017]. Ces travaux ont mis en évidence l’importance des pratiques langagières, des catégorisations et désignations ethnoraciales des usagers dans la domination administrative. Qu’en est-il d’autres institutions en Guyane, au Suriname et au Guyana ? Comment l’espace administratif recompose-t-il des distances sociaux-raciales dans les Guyanes ? Les inégalités et discriminations y revêtent-elles des contours distincts selon les caractéristiques des groupes dominants et dominés ? Observe-t-on des processus de catégorisation sans pratiques discriminatoires ? Les contributeurs/rices seront attentifs à la complexité des configurations de pouvoir selon les contextes sociaux et politiques et à l’imbrication des rapports de pouvoir.

- Catégories ethnoraciales en pratique :

Comment les catégories ethnoraciales sont-elles mobilisées au quotidien dans les relations interpersonnelles, professionnelles ou de voisinage ? Quel(s) sens les individus confèrent-ils à ces catégories, selon leurs propriétés sociales et la position qu’ils occupent dans un espace territorial donné ou dans un cadre professionnel spécifique ? La proximité résidentielle, professionnelle ou affective entre groupes distincts redéfinit-elle ou à l’inverse renforce-t-elle les représentations des uns et des autres ? Les contributeurs seront attentifs à la fluidité des frontières ethno-raciales et des identifications mobilisées par les habitants des Guyane en fonction des contextes (en ville, en forêt) et des situations. Ils tenteront d’appréhender la manière dont les identités nationales fragmentent ou non les groupes ethniques dans les pratiques de désignation mais aussi dans un ensemble de pratiques sociales (les modes d’habiter, les unions et les circulations familiales, le travail et les pratiques économiques, les pratiques religieuses…).

- Mobilisations ethniques et circulations régionales :

Comment les relations ethno-raciales sont-elles politisées ? Les mobilisations revendiquant une spécificité ethnique ou culturelle sont-elles structurées ou non à l’échelle de l’ensemble des Guyanes. Que sait-on des circulations de savoir-faire militants entre les Guyanes ? Le dossier sera attentif aux pratiques de mobilisations des groupes sociaux et à l’articulation des revendications ethniques avec d’autres enjeux (linguistiques, redistribution des ressources publiques etc.)

Les analyses comparatives portant sur deux territoires ou sur les circulations des individus, pratiques et représentations entre les Guyanes seront particulièrement appréciées.

Notes

[1] Le réseau 3 Guyanes (3G) au sein du programme Ecotones a organisé plusieurs colloques comparatifs entre les trois Guyanes dont « The Pan –Guyanese Highway, Cayenne Georgetown Paramaribo”, Amsterdam, 1-3 October 2015 et “Imagining the Guyanas / Ecologies of Memory & Movement- French Guyane, Guyana, and Suriname –“, 27-29 October 2016, University of London, School of Advanced Study, Senate House.

[2] En géographie, on peut mentionner l’ouvrage comparatif d’Emmanuel Lezy (2000).

[3] Pour une discussion de ce terme dans le cas de la Guyane française, cf. Marie-José Jolivet, « La créolisation en Guyane. Paradigme pour une anthropologie de la modernité créole », Cahiers d’études africaines, 148, XXXVII, n°4, 1997, pp. 813-837.


Page créée le jeudi 18 janvier 2018, par Dominique Taurisson-Mouret.


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