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Appel
Date limite de soumission : mercredi 30 août 2023
Colloque junior, Centre d’histoire de Sciences Po, 5 et 6 décembre 2023, organisé par Owen Coughlan (University of Oxford), Sibylle Fourcaud (CHSP), Isabelle Linais (CHSP) et Abel Solans (CHSP)
Comité scientifique : Angelos Dalachanis (CNRS-IHMC), Delphine Diaz (Université de Reims), Nicolas Delalande (CHSP), Isabelle Grangaud (Centre Norbert Elias, CNRS) et David Todd (CHSP)
Avec le soutien du Centre d’histoire de Sciences Po, du Center for History and Economics in Paris et de l’Institut Universitaire de France
Le colloque sera bilingue anglais-français. Les propositions de communication, en français ou en anglais, doivent comporter un titre et un résumé (entre 300 et 500 mots) ainsi qu’un court CV, et doivent être envoyées avant le 30 août 2023 à viematerielle.colloque2023 chez gmail.com
« Nombre de représentations de migrants, de réfugiés ou d’exilés au XIXe et au XXe siècles donnent autant d’importance aux déplacés eux-mêmes qu’à leurs biens. Qu’il s’agisse des paniers débarqués par des migrants italiens à Ellis Island à la fin du XIXe siècle ou des draps et du bétail emportés par des musulmans fuyant l’Inde en 1947, ces biens, de nature et de valeur économique inégale, incarnent tant des circonstances de départ et d’installation, que des différences locales et nationales, de classe, de génération ou de genre entre les déplacés. Quelle place occupent ces biens dans leur parcours transnational ou encore dans leur stratégie économique ? Dans quelle mesure cette identité matérielle des déplacés est-elle liée aux appartenances qu’ils revendiquent et aux catégorisations dont ils font l’objet ? Comment cette dimension matérielle des appartenances peut-elle entraîner des formes de solidarité, ou de conflit, entre déplacés ou avec les sociétés d’accueil ?
Ces questions invitent à étudier la relation entre déplacement de population et conditions matérielles d’existence. Le mobility turn (Roche, 2003) a conduit les historiens contemporanéistes à remettre en cause la distinction entre migrants et réfugiés (Elie, 2014). À l’époque contemporaine, la catégorisation protéiforme des migrants – qui se structure d’une part au XIXe siècle sur fond de concurrence économique et impériale, et d’autre part sous l’effet des deux guerres mondiales et des décolonisations (Gatrell, 2013 ; Zahra, 2017) – nous conduit ici à les considérer comme des « déplacés » au sens large, pour englober tous les types de « mobilités contraintes », définies « comme le résultat d’une contrainte et d’une intentionnalité, d’une agency » (Diaz, 2014). Cette remise en cause des distinctions entre migrants, réfugiés ou exilés repose en partie sur le poids du facteur économique dans les contraintes et les choix qui influencent leur parcours. En tant qu’agents économiques mus par des « occasions de migration », les déplacés ne sont pas seulement des détenteurs de capital économique et social (Clancy-Smith, 2010). Historiennes et historiens du travail ont en effet souligné la grande diversité des situations migratoires, selon la classe, le genre, l’âge ou encore la race (Green, 2008). Prenant appui tant sur l’histoire économique des déplacés que sur cette historiographie du travail liant vie matérielle, appartenances et solidarités, ce colloque
entend éclairer des formes de mobilité dont la dimension matérielle a jusqu’ici été moins étudiée.
Par vie matérielle, nous entendons les niveaux de vie, le travail, le logement et les pratiques de consommation, à savoir l’alimentation, le vêtement, les objets et les outils (Braudel, 1961). Sous le prisme de l’histoire culturelle, les historiens du déplacement forcé se sont intéressés à la valeur symbolique des choses, elles aussi déplacées (Auslander, 2018). Cependant, l’appartenance des objets à des sphères distinctes, économiques, culturelles et politiques dépend moins de leur nature propre que des usages qui en sont faits (Lefebvre, 1974 ; Certeau, 1990). Pour cela, ce colloque invite à s’interroger sur la façon dont les objets prennent part à la construction des stratifications sociales et des hiérarchies, ou des richesses économiques en situation de déplacement.
Étudier l’histoire des déplacés par leur vie matérielle ouvre le dialogue sur le rôle des facteurs économiques dans les processus d’identification et d’appartenance, permettant d’aller au-delà des analyses binaires d’assimilation ou d’entre-soi communautaire pour saisir la complexité et le
dynamisme des relations. La vie matérielle des déplacés éclaire la superposition d’identités et d’appartenances tout au long des parcours transnationaux ainsi que la reconfiguration des hiérarchies sociales qui découlent de ces mobilités. Par ailleurs, écrire une histoire de la vie économique et sociale des mobilités implique d’aborder les logiques de solidarité ou de concurrence se mettant en place entre déplacés – à différentes échelles, du local au transnational – ou entre les déplacés et la société d’accueil. Or, ces formes de solidarité jouent, à leur tour, un rôle important dans la transformation des conditions de vie des déplacés. C’est le cas, par exemple, des associations de migrants ou des réseaux de solidarité nationaux et transnationaux.
En somme, ce colloque s’appuie sur l’histoire de la vie économique et l’histoire des mobilités pour étudier combien l’entraide, l’appartenance et la catégorisation des déplacés s’articulent avec leur vie matérielle. Le questionnement, portant sur la période contemporaine (XIXe-XXe siècles), peut être mené à différentes échelles de temps et de lieu : de la manière dont le capital économique et social des déplacés structure le cadre de leur déplacement, au devenir de leurs biens après leur mort, en passant par l’activité productive et reproductive des déplacés. Puisque la période considérée est marquée par une circulation accrue, mais non sans à-coups, du capital, du travail et de la consommation, dans des cadres régionaux, impériaux, nationaux et coloniaux, les formes transnationales et trans-impériales de solidarité entre déplacés font partie intégrante de la réflexion. Celle-ci pourra s’articuler – sans exhaustivité – autour des axes suivants :
Quelles stratégies économiques mettent en œuvre les personnes déplacées, à l’échelle individuelle, familiale, communautaire ? Comment le genre, la race, la classe, et l’âge influent sur ces stratégies ? Comment les dynamiques de déclassement ou reclassement social qu’entraîne la mobilité modifient-elles les logiques d’appartenance et transforment-elles les liens entre les sociétés d’accueil et les communautés de déplacés ?
Comment les stratégies économiques mises en œuvre par les déplacés révèlent-elles des solidarités ? Comment les enjeux matériels structurent-ils des manifestations d’entraide plus ou moins institutionnalisée et à différentes échelles, du local au transnational ? Comment l’incertitude qui caractérise le changement de lieu nourrit-elle des conflits pour l’usage des ressources et définit-elle de nouvelles hiérarchies entre les déplacés et les populations d’accueil, et parmi les déplacés eux-mêmes ?
Il convient également de considérer la place que les institutions, étatiques ou non, accordent à la « vie matérielle » lors de l’accueil des déplacés. Dans quelle mesure des considérations matérielles interviennent-elles dans le refoulement, la réception, la gestion des populations ? Comment ces institutions cherchent-elles à encadrer les biens des déplacés et les rapports ou formes d’association qu’ils entretiennent entre eux ?
Enfin, aborder les mobilités au prisme de la vie matérielle pose inévitablement la question des sources mobilisables. Comment retracer la vie matérielle d’individus ou de groupes d’appartenance, étant donné que leurs circulations transnationales en font souvent disparaître les traces ? Que peut apporter l’étude des objets ou des autres sources non textuelles à l’histoire des déplacés ? »
La publication d’une sélection de papiers est d’ores et déjà envisagée. Les frais de déplacement et/ou d’hébergement pourront être pris en charge dans la limite du budget disponible. Merci de signaler lors de votre candidature si vous souhaitez que nous participions au financement de votre séjour à Paris et depuis quelle adresse. Nous encourageons les participants qui le peuvent à demander l’aide financière de leur institution pour que le budget du colloque puisse aider ceux qui en ont le plus besoin.
Bibliographie
Agier, Michel et Madeira, Anne-Virginie, Définir les réfugiés, Paris, Presses universitaires de France, 2017.
Aprile, Sylvie, Le Siècle des exilés : bannis et proscrits de 1789 à la Commune, Paris, CNRS Éditions, 2010.
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Auslander, Leora et Zahra, Tara, Objects of War : The Material Culture of Conflict and Displacement, Ithaca, Cornell University Press, 2018.
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Clancy-Smith, Julia, Mediterraneans : North Africa and Europe in an Age of Migration, c. 1800–1900, Berkeley, University of California Press, 2010.
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Dirk, Hoerder, Cultures in Contact : World Migrations in the Second Millenium, Durham, Duke University Press, 2002.
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Colloque
5-6 décembre 2023 (Paris, Centre d’histoire de Sciences Po)
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