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Appel
Date limite de soumission : vendredi 15 septembre 2023
Étendue « sauvage » à l’instar des déserts et des zones montagneuses (qui lui sont parfois quasiment synonymes comme dans le terme espagnol monte(s)), la forêt participe de l’érème du fait de sa situation hors de l’œkoumène. Elle est aussi espace (de) « solitaire(s) » car, du fait de son anthropisation diffuse, elle est considérée comme inhabitée et juste peuplée d’arbres (la RAE définit ainsi la selva : « 1. Terreno extenso, inculto y muy poblado de árboles ») ou d’êtres sauvages et/ou ensauvagés, aux pulsions souvent primaires.
Sorte de négatif du couple de référence ville-campagne, la forêt pose dès lors, comme tiers espace, la question de la limite, de la lisière et par là même des frontières géographiques, anthropologiques, génériques ou linguistiques. Enjeu majeur des productions littéraires et artistiques nées et/ou héritées de l’entreprise de conquête du Nouveau Monde, la nature américaine est traversée par des imaginaires qui ont modelé les représentations de la forêt. Il en va de même dans la Péninsule ibérique : fantasmée depuis les romans de chevalerie ou La selva sin amor de Lope de Vega, peuplée de créatures mythiques (comme le Basajaun basque, auquel D. Redondo prête vie dans la trilogie du Baztán, adaptée à l’écran par F. González Molina) ou d’opposants politiques y trouvant refuge (Maquis d’A. Cervera, Los girasoles ciegos d’A. Méndez et sa transposition cinématographique par J.L. Cuerda), la forêt peut tout aussi bien devenir locus amoenus et s’afficher en espace de résistance et d’introspection, que locus eremus. À la lisière de la « barbarie », elle se fait alors lieu d’errance, voire de dévoration, comme dans le roman graphique El otro mar d’A. Zapico, ou de crime (As bestas de R. Sorogoyen, La noche de los girasoles de J. Sánchez-Cabezudo). Oscillant sans cesse entre ces deux pôles, elle donne lieu, dans les novelas de la selva, à des œuvres où coexistent effroi et fascination face à une nature non domestiquée (Macunaíma de M. de Andrade ; La Vorágine de J.E. Rivera).
Forêt américaine par excellence, l’Amazonie s’est pliée au désir d’utopie de l’Europe, qui fit en son temps des profondeurs de la selva le rempart d’un inatteignable El Dorado, ce dont témoignent autant les chroniques d’un Pedrarias de Almesto que les réécritures subversives de l’histoire coloniale issues du Nouveau Roman Historique (Daimón d’A. Posse). Constamment re-sémantisée, la forêt tropicale apparaît dans les productions littéraires et artistiques contemporaines tantôt comme un obstacle à l’extension du progrès et un territoire à soumettre (La cautiva d’E. Echevarría) ou comme un puissant symbole de la singularité américaine (Los pasos perdidos d’A. Carpentier). La littérature jeunesse s’en empare également (La selva de Zonia de Juana Martinez-Neal). Si le regard qui est porté sur elle demeure largement occidental, la forêt amazonienne s’affiche aussi aujourd’hui en tant qu’espace vécu (on peut ici songer à la poésie amérindienne, avec A. Varela Tafur ou A. Potiguara).
Face aux ravages de l’exploitation forestière et à la prise de conscience de la fragilité des écosystèmes naturels, on observe ces dernières décennies un dépassement et un déplacement des visions antagonistes, à la lumière de l’écolittérature, ainsi qu’une forme de retour à la terre aussi bien en Espagne (El lenguaje de los bosques de H. Larretxea) qu’en Amérique hispanique (L. Sepúlveda) ou en Guinée Équatoriale. Le temps présent est ainsi marqué par l’émergence d’un éco-artivisme protéiforme (dont l’œuvre poétique et plastique de C. Vicuña, le roman La bastarda de T.M. Obono ou les publications de travaux portant sur la bande dessinée de non-fiction consacrée à l’environnement, à l’écologie et aux écosystèmes sont de bons exemples).
Dans une perspective civilisationniste ou éco-critique, la thématique de la forêt permet d’introduire une approche renouvelée des enjeux socioculturels et politiques qui traversent nos disciplines. La forêt, dans ses différentes déclinaisons géo-culturelles, constitue l’un des objets centraux des réflexions que développent, depuis les années 1990, l’histoire de l’environnement. La forêt, la jungle (comme le proposa l’artiste W. Lam dans sa célèbre toile éponyme de 1943), la selva, sont des constructions sociales, inséparables du rapport au monde que l’Occident a construit au cours de son expansion globale. Dès la conquête de l’Amérique, deux images coloniales, encore prégnantes aujourd’hui, lui sont associées : celle d’un vaste entrepôt de formes naturelles offert à l’extraction et à l’appropriation (S. Boumediene) et celle d’un espace de la sauvagerie qui menace l’ordre symbolique, appelant par là même sa domestication (M. Taussig). La mise en réserve d’espaces dépeuplés et sanctuarisés, d’abord aux États-Unis (création de Yellowstone en 1870) puis dans l’ensemble du continent, n’implique pas forcément une rupture avec ce régime de représentation : le fantasme de la virginité qu’il convoque est lui-même l’expression d’un « colonialisme vert » qui produit symétriquement des zones de sacrifice – des espaces inhabitables – et des espaces rendus vierges – des espaces déshabités.
La thématique de la forêt peut aussi constituer une entrée pertinente pour aborder les résistances, les luttes des communautés subalternes qui ont choisi de se réfugier dans les marges forestières pour échapper au système de travail forcé et desserrer le carcan des structures de domination sociale. Comme l’a montré P. Clastres, la forêt tropicale a produit, partout en Amérique, des formes de gouvernement acéphales. Des territoires autonomes administrés par les esclaves fugitifs, aux communautés zapatistes autonomes en lutte, l’histoire moderne et contemporaine des forêts est aussi l’histoire des multiples formes de résistances des sujets subalternes.
Les travaux de l’anthropologie américaniste la plus récente fournissent des outils d’analyse pertinents pour saisir la forêt comme une toile relationnelle complexe. Remettant en question la perspective naturaliste et ses implications politiques, ces travaux ont montré la pluralité des modes de rapport à la nature (P. Descola, E. Viveiros de Castro, D. Kopenawa, B. Albert). L’anthropologie amazonienne, notamment, s’est appliquée à mettre en évidence les cosmologies qui récusent, dans leur rapport concret à leur environnement, le partage de la nature et la culture et appréhende le monde des êtres de la forêt – humains et non-humains, vivants et non-vivants – comme un continuum intégralement culturel et politique. Comme en témoignent les films El abrazo de la serpiente de C. Guerra ou Selva trágica de Y. Olaizola, les arts visuels explorent ces modes relationnels de perception du monde. Car les forêts, comme l’a suggéré l’ethno-sémioticien E. Kohn, sont aussi « bonnes à penser parce qu’elles pensent elles-mêmes ».
Enfin, dans une perspective linguistique, on reconnaîtra d’emblée l’énigme de la forêt qui résiste à se laisser traduire : selva, jungla, foresta, monte ou encore bosque laissent entrevoir les nuances d’une réalité dure à appréhender et à nommer. J. B. Ntakirutimana et A. Kabano rappellent que l’écolinguistique est « une discipline linguistique relativement récente qui considère les langues comme des entités vivantes, indispensables à la vie et à la survie de l’écosystème socioculturel universel ». Particulièrement présente dans les recherches en linguistique menées au Brésil (on notera l’existence d’une revue intitulée Ecolinguística. Revista brasileira de ecologia e linguagem), l’approche écolinguistique permettrait d’envisager la langue dans son lien à son environnement, depuis une perspective descriptiviste ou plus prescriptive. Elle serait également l’occasion d’aborder les liens entre langue et intimité (parler de soi et de son environnement), entre langue et minorité, entre langue et milieux ruraux et donc, indirectement, de réfléchir à la langue comme outil des groupes dominants ou arme de globalisation ou d’individuation, de repli sur son milieu. Cette réflexion pourrait s’étendre aux discours sur l’environnement et sur la défense de la biodiversité. En ouvrant cette perspective aux discours polémiques, aux discours militants ou à toute autre forme de discours, la réflexion pourrait porter sur des approches pragmatiques, sociolinguistiques et lexicologiques au sens large du terme. Une approche appliquée pourrait également se développer à partir de ces réflexions sur la langue, notamment en abordant les thématiques liées au développement du tourisme en zones rurales et forestières, à l’industrie forestière, à l’écologie, à l’environnement et aux solutions durables.
En somme, comment dire, transcrire, dessiner, filmer, chanter, imaginer la forêt ? Quelles sont en effet les caractéristiques et les modalités de représentation des forêts dans les mondes hispaniques et lusophones, riches de leurs aires catalanophones, bascophones, galégophones, tupi-guaranophones, bantouphones... On propose par conséquent d’aborder de façon transdisciplinaire et sur des périodes très diverses forêts, arbres, racines, canopée et autres éléments sylvestres, entre Péninsule ibérique et Amériques (tant dans une approche transatlantique que sous l’angle des interrelations nord/sud), entre sens propre et sens figuré, entre Nature et Culture, entre Éden et Enfer, entre écologie et développement… et ce dans ou à la lisière de diverses disciplines comme, entre autres, la littérature, la linguistique, la civilisation, l’histoire, les arts, la philosophie ou la sociologie.
Modalités de contribution : Les propositions de communication (titres et résumés) sont à envoyer à congres-shf-24 chez unilim.fr avant le 15 septembre 2023.
Elles seront accompagnées d’une notice biobibliographique de 5, 6 lignes (nom, prénom, affiliation universitaire et/ou scientifique, thématiques de recherche et publications les plus significatives).
Une réponse à chaque demande sera formulée avant fin novembre 2023. Les auteurs et autrices des communications retenues devront être membres de la SoFHIA au moment de leur inscription à l’événement.
Comité d’organisation
Cécile Bertin-Elisabeth, Université de Limoges, EHIC
Diane Bracco, Université de Limoges, EHIC
Philippe Colin, Université de Limoges, EHIC
Aurore Ducellier, Université de Limoges, EHIC
Thomas Faye, Sorbonne Univerité, CLEA-Relir
Sonia Fournet-Pérot, Université de Limoges, CeReS
Gladys Gonzalez, Université de Limoges
Marie-Caroline Leroux, Université de Limoges, EHIC
Voir Bibliographie indicative dans l’Appel ci-joint
Colloque
Du 5 au 8 juin 2024 (Université de Limoges)
Page créée le jeudi 6 juillet 2023, par Webmestre.