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Appel
Date limite de soumission : lundi 1er décembre 2025
Les propositions de communication, en français, doivent être envoyées avant le 1er décembre 2025 à contact chez afbourdon.com
« Depuis une quarantaine d’années de nombreux rapprochements ont eu lieu entre l’histoire des sciences et l’histoire de l’art, mettant en avant de nouveaux objets et de nouvelles méthodes. L’histoire des sciences elle-même a été profondément remodelée par des approches davantage attentives aux contextes, aux rapports sociaux et à la matérialité des pratiques scientifiques. Elle est également de plus en plus pensée au prisme des études visuelles. Le colloque « L’objectif des savants. Photographies et fabrique des sciences modernes » se propose de dresser un panorama des nouvelles perspectives autour des interactions entre photographie et sciences en explorant les enjeux culturels, sociaux, économiques voire institutionnels qui y sont liés.
Dès la divulgation du daguerréotype en 1839 (Siegel, 2020), le milieu scientifique exprime un fort engouement à l’égard de ce procédé d’enregistrement mécanique du réel (Daston et Galison, 2010). L’archéologie, mais aussi l’astronomie comptent parmi les premières applications envisagées par François Arago. La photographie se substitue peu à peu au dessin et nombre de savants s’emparent des techniques photographiques, pour y apporter des perfectionnements mais aussi pour en expérimenter les applications à leurs domaines de recherche. Les photographies du Soleil par Hippolyte Fizeau et Léon Foucault, les herbiers d’Anna Atkins, les images de la Lune de Rutherfurd ou Warren De La Rue, ou les microphotographies d’Alfred Donné et Léon Foucault : de nombreuses tentatives peuvent être documentées, tandis que certaines réalisations, anonymes, soulèvent encore des interrogations.
Le milieu du XIXe siècle voit aussi la naissance de nouvelles utilisations, telles que la photographie aérienne et la métrophotographie. Nombreux sont les aéronautes-photographes qui font découvrir les villes et les environs vus par l’aérostat. Avec le procédé au gélatino-bromure d’argent (Gunthert, 1999), la photographie aérienne sort du premier stade expérimental et ouvre le champ à de nombreuses applications scientifiques, notamment la cartographie (Gervais, 2001 ; Grevsmühl, 2014).
A la fin du XIXe siècle, la photographie est également mise au service des sciences naturelles et des expérimentations physiologiques, à l’instar du physiologiste Etienne Marey et ses procédés chronophotographiques qui permettent d’analyser la locomotion de l’homme et des animaux. L’ancienne culture visuelle laisse alors la place à une nouvelle rationalisation savante, comme avec les photographies d’Eadweard Muybridge diffusées dans la revue Nature en 1878 et présentées à Paris lors du Congrès de l’électricité. De même, Albert Londe installe le premier laboratoire de photographie à la Salpêtrière et expérimente les rayons X et le constructeur d’instruments scientifiques, Honoré Radiguet, fonde le « musée radiographique ».
Au-delà des individualités et des figures pionnières, les institutions académiques elles-mêmes ont très tôt constitué des fonds photographiques importants, qui témoignent de l’installation et de l’enracinement durable de la pratique photographique entre leurs murs. C’est notamment le cas du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) qui conserve plusieurs milliers de photographies scientifiques (Lafontaine, 2022), de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées, de l’Ecole des mines ou de l’Observatoire de Paris. Le Conservatoire des arts et métiers, quant à lui, ouvre en 1881 une galerie dédiée à la photographie dans laquelle les applications scientifiques de la photographie sont présentées au public (Corcy, 2009). Les photographies sont en outre portées sur l’inventaire des collections.
Ainsi, les photographies ont été utilisées très tôt pour expliquer, valoriser et montrer la recherche scientifique en train de se faire. D’abord limitées à leur statut « documentaire » de simples images analogiques, les photographies ont de plus en plus été mises au service de diverses disciplines scientifiques et de leur fabrique concrète. Des années 1830 aux années 1960 - moment de bascule marqué par l’essor des technosciences, le bouleversement des techniques de prise de vue, et de nouvelles logiques de production scientifique -, la photographie a joué un rôle croissant dans la fabrique des sciences modernes, offrant de nouvelles ressources et outils qui sont déclinés largement dans les sciences naturelles, physiques comme sociales.
Organisé en écho aux célébrations du Bicentenaire national de la photographie (2026-2027), l’objectif de ce colloque est de revenir sur les appropriations, les transformations mais aussi les tensions qui ont accompagné les usages scientifiques de la photographie et d’évaluer le rôle du nouveau médium photographique dans les transformations scientifiques à partir du XIXe siècle. La photographie scientifique sera envisagée comme un document porteur de connaissances, mais aussi comme un instrument de production de connaissances et une performance technique.
Attentif aux éclairages offerts par l’histoire culturelle et sociale des sciences et des techniques, le colloque mettra un accent particulier sur la diversité des sources étudiées, en s’intéressant aux corpus inédits composés de documents visuels, d’archives institutionnelles, d’objets matériels, etc. Une attention particulière sera portée à la « jeune recherche », en valorisant les travaux émergents. La pluridisciplinarité sera encouragée, en mobilisant des spécialistes de l’histoire des techniques, des sciences, de la photographie, de l’histoire de l’art, de la sociologie, etc. Si la France constitue l’aire géographique privilégiée, le colloque souhaite également s’ouvrir à d’autres contextes et lieux de production de photographies à vocation scientifique. En explorant la relation qui unit ces deux champs sur le temps long – plus d’un siècle – il s’agit d’en explorer les évolutions et les mutations, notamment à l’occasion de l’introduction d’innovations techniques.
Axes thématiques
C’est avec cette approche que nous souhaitons orienter les problématiques du colloque selon quatre axes, qui pourront fournir matière aux contributions :
1. Photographie et épistémologie des sciences
Le premier axe cherche à mieux définir la « photographie scientifique » et saisir les apports de la photographie à la fabrique des sciences, et réciproquement.
Comment la photographie s’est-elle intégrée aux démarches scientifiques (mode de connaissance, méthode d’expérimentation, outils d’enregistrement des données, sources documentaires) ? La photographie a-t-elle constitué une rupture ou une continuité dans les techniques d’analyse scientifique ?
Quels débats épistémologiques ont accompagné l’usage de la photographie dans les sciences ? Dans quelle mesure la photographie contribue-t-elle à « faire preuve » ?
Comment les usages de la photographie ont-ils évolué au sein d’une discipline, entre développement, marginalisation ou repositionnement ?
2. Défis techniques et matérialités
Il s’agit ici de considérer la photographie comme un dispositif technique à part entière, et d’analyser les matériaux, les équipements, les méthodes de prise de vue et de diffusion mobilisés en contexte scientifique.
Quelles ont été les rencontres entre sciences et photographie du point de vue des innovations techniques ? On s’intéressera ici aux interpénétrations, aux influences réciproques, aux phénomènes de transfert ou d’émulation entre l’évolution des techniques photographiques et le développement des sciences.
Quels ont été les circuits socio-économiques et des pratiques matérielles associées à la photographie scientifique ?
3. Acteurs et dynamiques sociales
Le troisième axe est consacré à une approche sociale et institutionnelle de la contribution de la photographie à la fabrique des sciences.
Comment, par qui, la photographie a-t-elle été intégrée dans les pratiques savantes, tant du point de vue des « grands noms » que des acteurs méconnus et des « petites mains » ? Qui produit les photographies ? Quel est le rôle des amateurs et des constructeurs ? Qui utilise ou réutilise ces photographies ? Quelles dynamiques de genre ou de hiérarchie structurent ces pratiques ?
Comment s’est déroulé le développement des compétences au sein des équipes scientifiques ? Quelles places ont occupé les photographes au sein des institutions et des sociétés savantes ? Comment s’est développée l’interaction entre pratiques scientifiques et artistiques ? Quels réseaux de sociabilité ont été introduits par l’usage de la photographie dans les sciences ?
Quel rôle les institutions et sociétés savantes – académies, universités, laboratoires, musées, etc. – ont-elles joué dans la rencontre entre sciences et photographie ? Ont-elles exercé une dynamique d’impulsion ou au contraire de frein ? Quelles ont été les dynamiques politiques et institutionnelles accompagnant ou encadrant l’usage de la photographie en science ?
4. Photographie et culture scientifique
Enfin, ce dernier axe s’intéresse à la réception de la photographie au sein des sciences, mais aussi à sa contribution à la diffusion d’une culture scientifique au-delà des cercles scientifiques, voire à la représentation de la science dans le grand public :
Quels ont été les discours sur la photographie dans le monde scientifique (enthousiasmes, résistances, critiques) ? Entre engouement initial et réalités des apports scientifiques, quels ont été les « faux-départs » (Bajac, 2000) ?
Quel rôle la photographie a-t-elle joué dans la communication scientifique vers le grand public et la « spectacularisation » des savoirs ? Quels sont les enjeux éthiques accompagnant ces usages ?
Dans quelle mesure la photographie scientifique a-t-elle été un instrument de diffusion et de légitimation d’une pratique scientifique ? Au contraire, quels ont été les dérives, les détournements et mésusages du recours à la photographie ?
Dans quelle mesure ces photographies sont-elles aujourd’hui reconnues comme éléments patrimoniaux ? A partir de quand ? Par quelles institutions (musées, laboratoires, bibliothèques) ?
Modalités de soumission
Les propositions ne devront pas excéder une page et seront accompagnées d’un court CV. Les communications seront faites en français.
Organisation
Le colloque est organisé par l’Académie François Bourdon, centre d’archives dédié à l’histoire industrielle, en écho au Bicentenaire de la photographie (2026-2027).
Contacts : Jean-Luc Gisclon, Claire Le Bras, Jean-Marc Pugnet.
Coordination scientifique : Claudine Cartier, François Jarrige, Claire Le Bras, Pascal Raggi.
Comité scientifique :
Claudine Cartier, Conservateur général honoraire du patrimoine
Marie-Sophie Corcy, Musée des arts et métiers-Cnam, CTHS
Sebastian Grevsmühl, CNRS/EHESS - CRH
Laurence Guignard, Université Paris-Est Créteil – CRHEC
François Jarrige, Université Bourgogne Europe – LIR3S
Claire Le Bras, Académie François Bourdon
Anne de Mondenard, Musée Carnavalet
Pascal Raggi, Université de Lorraine - CRULH
Bibliographie indicative
Gilbert Beaugé, Jean-Noël Pelen, « Photographie, ethnographie, histoire. Présentation », Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°2-4/1995. Photographie, ethnographie, histoire, sous la direction de Jean-Noël Pelen et Gilbert Beaugé, pp. 7-17.
Quentin Bajac, « 1840-1875 : les faux départs de la photographie astronomique », Dans le champ des étoiles. Les photographies et le ciel, 1850-2000, Catalogue d’exposition, Paris, RMN, 2000.
Charlotte Bigg, « Les études visuelles des sciences : Regards croisés sur les images scientifiques », Histoire de l’art, 70 (2012), pp. 95-101.
Jonathan Crary, Techniques de l’observateur : Vision et modernité au XIXe siècle, Paris, J. Chambon, 2016 [1994].
François Cardi, Photographie et sciences sociales. Essai de sociologie visuelle, Paris, L’Harmattan, 2021.
Marie-Sophie Corcy, « Le journal La Nature et la constitution de la collection de photographie scientifique du Conservatoire des arts et métiers », Documents pour l’histoire des techniques, nouvelle série, n° 18, 2e semestre 2009, pp. 131-149.
Marie-Sophie Corcy, « L’évolution des techniques photographiques de prise de vue (1839-1920) : Mise en évidence d’un système sociotechnique », Documents pour l’histoire des techniques, 17 (2009), pp. 57-68.
Marie-Sophie Corcy, « La Photographie de l’invisible », La Revue, Musée des arts et métiers-Cnam, n° 25, décembre 1998, pp. 54-59.
Marie-Sophie Corcy, « La Photographie astronomique », La Revue, Musée des arts et métiers-Cnam, n° 27, juin 1999, p. 60-64.
Thierry Gervais, « Un basculement du regard. Les débuts de la photographie aérienne 1855-1914 », Etudes photographiques [En ligne], n° 9, 2001.
Sebastian Vincent Grevsmühl, La Terre vue d’en haut : l’invention de l’environnement global, Paris, Seuil, 2014.
André Gunthert, La conquête de l’instantané. Archéologie de l’imaginaire photographique en France (1841-1895), thèse de doctorat d’histoire de l’art, sous la direction de Hubert Damisch, Paris : EHESS, 1999.
Laurence Guignard, Les Images de la lune au XIXe siècle. Archéologie d’une conquête visuelle, mémoire d’HDR soutenu à l’université d’Aix-en-Provence le 19 octobre 2018, [à paraître].
Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, Les Presses du réel, Paris, 2012.
Lisa Lafontaine, « L’introduction de la photographie dans les laboratoires du Muséum au XIXe siècle : un nouvel outil dans les pratiques scientifiques », Revue d’histoire des sciences, Tome 75(1), 2022, pp. 133-158.
Dominique Pestre (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, Paris, Le Seuil, 3 vols., 2015.
Monique Sicard, Images d’un autre monde : La photographie scientifique, Paris : Centre national de la photographie, 1991.
Steffen Siegel, 1839. Daguerre, Talbot et la publication de la photographie : Une anthologie, Paris : Éditions Macula, 2020.
Rodolphe Radau, “Les applications scientifiques de la photographie. I : La photographie céleste”, Revue des deux mondes, 25 (1878), 873.
Simon Schaffer, La fabrique des sciences modernes, Paris : Le Seuil, 2014.
Colloque
14-15 octobre 2026 (Académie François Bourdon – Le Creusot)
Page créée le jeudi 3 juillet 2025, par Webmestre.