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Appel
Date limite de soumission : mercredi 1er février 2023
Numéro thématique de Norois, sous la direction de Joachim Benet Rivière, Laboratoire GRESCO - Université de Poitiers
Cet appel à contributions s’adresse aux chercheurs et aux chercheuses en géographie, sociologie, sciences de l’éducation, histoire, sciences de l’environnement, sciences politiques, qui prennent pour objet les relations entre les formations de l’enseignement agricole et les questions environnementales et territoriales. Plus précisément, l’objectif de ce numéro est d’éclairer le renouvellement des spécificités des pratiques et des conceptions de l’enseignement, des curricula de l’enseignement agricole, dans un contexte marqué par la hausse des exigences environnementales dans le débat public et le développement de nouveaux usages des espaces ruraux. En effet, ce numéro vise à comprendre comment les enjeux environnementaux et territoriaux réinterrogent le rôle et la place de l’enseignement agricole [1].
Les contributions pourront s’intéresser aux référentiels de formation et à leur élaboration, à des dispositifs spécifiques et aux pratiques mises en œuvre dans l’enseignement agricole secondaire ou supérieur, aux situations d’apprentissages, aux représentations des publics et aux points de vue des agents de formation sur les enjeux environnementaux et territoriaux. Nous souhaiterions pouvoir publier un ensemble de contributions croisant les regards et les points de vue différents pour mieux donner à voir et à penser ce qu’est l’enseignement agricole aujourd’hui. L’approche comparative entre des formations, disciplines de l’enseignement agricole, des espaces, pourra également être mobilisée. Si les contours de l’enseignement agricole peuvent varier selon les pays et couvrir des champs différents, la comparaison avec d’autres espaces nationaux est aussi la bienvenue. Dans la mesure où les contributions mettent l’accent sur les spécificités des formations de l’enseignement agricole, elles peuvent également intégrer la comparaison avec d’autres champs de la formation en dehors de l’enseignement agricole, en particulier lorsque ceux-ci proposent des filières similaires (les services aux personnes, le commerce, le paysage par exemple). Les contributions pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants qui n’épuisent pas le sujet, ni n’interdisent des propositions qui s’en émanciperaient.
« Produire autrement ». L’écologisation des pratiques agricoles, une injonction politique
Une première série de contributions pourra analyser les transformations induites par le développement des approches agroécologiques dans l’enseignement agricole. Les réseaux sociaux ont récemment relayé un appel d’étudiants d’Agro Paris Tech filmé lors d’une cérémonie de diplômes dans lequel ils accusent le secteur agro-industriel de détruire la biodiversité et incitent les étudiants à déserter les métiers auxquels ils ont été formés. Cet appel renvoie à des tensions et des ambivalences qui existent aujourd’hui au sein de l’enseignement agricole technique comme supérieur qui se trouve confronté à des exigences de plus en plus grandes en matière de protection de la biodiversité et de sauvegarde des espaces naturels (Asloum, Bedoussac, 2020). Ces ambivalences sont en majeure partie liées à la coexistence de modèles de production différents voire opposés dans les formations agricoles depuis que la rénovation des référentiels des diplômes va dans le sens du « projet agroécologique ». L’enseignement agricole fait donc face à une nouvelle injonction politique, celle de "produire autrement", qui vient remettre en question le modèle dominant de l’agriculture productiviste qu’il a pourtant soutenue depuis la loi d’orientation agricole de 1960 (Métral, et al, 2016). Avec la rénovation des référentiels des diplômes intégrant l’agroécologie, les personnels de formation sont de plus en plus en demande de formations continues sur ce thème (Morin, Minaud, 2015). Mais, pour certains chercheurs, ce changement de paradigme peut être une source de « tensions identitaires » chez une partie des personnels de formation (Bon, Panissal, 2019) et chez les publics en formation. Les travaux récents en sciences de l’éducation interrogent les difficultés que rencontrent les enseignants qui doivent s’approprier cette prescription et la mettre en œuvre, en particulier dans le baccalauréat professionnel Conduite et gestion de l’entreprise agricole (Gaborieau, 2021). Dans les lycées agricoles, la progression du nombre d’exploitations agricoles et d’ateliers pédagogiques certifiant des activités en agriculture biologique depuis les années 1990 est un indice marquant de cette généralisation de l’introduction de l’agriculture biologique dans l’enseignement agricole (Morin, Minaud, 2015). Engagés dans une vaste réforme agricole allant dans le sens de cette « transition agroécologique », les lycées agricoles ont ainsi fait de leurs exploitations agricoles des « outils stratégiques » pour conduire ce changement. Elles sont devenues des lieux d’expérimentation agroécologique (Gracia, 2019). Toutefois, ces nouvelles pratiques ne sont pas toujours réappropriées par les jeunes en formation qui sont socialisés à des pratiques culturales différentes et souvent contradictoires (Christen, 2017 ; David, 2019). Les contributions pourront s’attacher à éclairer cette réorientation de l’enseignement agricole à travers l’analyse de l’évolution des référentiels de formation ou des dispositifs de formation. Les approches mobilisées pourront, par exemple, s’inscrire dans la sociologie des curricula ou dans les sciences de l’éducation en prenant pour objet des situations d’apprentissage ou bien des expérimentations pédagogiques propres à un établissement de formation. Les contributions pourront également questionner la manière dont les référentiels sont interprétés par les personnels de formation au sens large (formateurs, professeurs ou maîtres de stage). Les effets de cette injonction politique à « produire autrement » pourront aussi être saisis à travers l’étude des transformations de catégories spécifiques de ces personnels de formation, de leur formation et de leurs pratiques d’enseignement. Les articles proposés pourront également s’intéresser à la façon dont les publics en formation accueillent et s’approprient ou non ces changements. Les savoir-faire et les techniques agricoles allant dans le sens d’une réduction des produits phytosanitaires peuvent se transmettre au-delà des espaces institués de la formation professionnelle agricole, au sein des familles, mais également dans les organisations et les associations professionnelles voire dans les réseaux plus informels. Les contributions pourront donc questionner l’évolution de l’apprentissage du métier d’agriculteur et du salariat agricole dans ces espaces de socialisation professionnelle à l’aune de cette injonction politique.
La place de l’environnement et de la nature dans l’enseignement agricole
Une seconde série de contributions pourra se concentrer plus spécifiquement sur la place de l’environnement et de la nature dans l’enseignement agricole. La question de l’environnement a toujours occupé une place importante dans l’enseignement agricole depuis sa création. L’éducation à l’environnement et le développement des sciences de l’environnement ont permis d’introduire des notions d’écologie dans les programmes scolaires et ont contribué à la mise en place de centres d’expérimentation pédagogique basés sur l’étude du milieu environnemental. En 1990, la réforme du BPREA (brevet professionnel responsable d’exploitation agricole) introduit la notion de « respect de l’environnement » (Morin, Minaud, 2015). Né en 1996, le réseau REEDD (réseau éducation à l’environnement pour un développement durable) a permis de développer des actions de sensibilisation auprès des publics des lycées agricoles à travers la mise en œuvre de projets d’établissements orientés vers le développement durable (Aublin, 2008). La notion d’éco-citoyenneté mise en avant par l’enseignement agricole montre que cet enjeu déborde largement la seule question de l’agroécologie. Dans la filière de l’aménagement par exemple, les équipes enseignantes doivent intégrer, dans leurs pratiques, la notion de gestion durable des espaces en conférant aux sites naturels une « dimension patrimoniale ». Quels sont les effets de cette prise en compte des sites naturels et du développement des démarches articulant patrimoine et environnement sur les curricula et les situations d’apprentissage dans l’enseignement agricole ? Comment les personnels de formation mettent-ils concrètement en œuvre ces démarches ? Quels sont les points de vue des enseignants et des formateurs sur l’éducation au développement durable et comment cette approche est-elle susceptible de modifier le sens qu’ils peuvent donner à leur métier ?
Les travaux de recherche sur l’enseignement agricole mettent l’accent sur deux dimensions du travail enseignant mises en articulation avec cette prescription à la gestion durable des espaces naturels inscrite dans les référentiels : l’interdisciplinarité d’une part, la territorialisation de l’action éducative d’autre part. En effet, l’éducation au développement durable dans l’enseignement agricole est pensée à travers des projets interdisciplinaires et locaux pour lesquels les établissements de formation et leurs personnels sont incités à développer une plus grande marge d’autonomie. Comment les personnels de formation et les personnels de direction des établissements d’enseignement agricole interprètent-ils cette série d’injonctions dans les référentiels de formation ? Les injonctions à « l’autonomie » et à la prise en compte des espaces naturels vont-elles de soi ou ne sont-elles pas pour eux, en définitive, des contraintes supplémentaires difficiles à mettre en œuvre et dont le degré d’acceptation est susceptible de varier selon les trajectoires sociales et les parcours professionnels de chacun.e ? Ce qui est en jeu dans ces injonctions, ce sont également les conceptions de la nature et du vivant qui sont susceptibles d’être véhiculées par les formations de l’enseignement agricole et par les personnels de formation (Chrétien, 2013). Les contributions pourront donc s’intéresser également aux conceptions de la nature et de l’environnement des personnels de formation, partagées ou non, réappropriées ou non par leurs publics en formation. Elles pourront porter sur les effets de ces injonctions en privilégiant une approche par une discipline ou une filière spécifique de l’enseignement agricole technique ou supérieur.
L’ancrage territorial de l’enseignement agricole
Un troisième axe de questionnement, lié aux deux précédents, pourra conduire à questionner l’ancrage territorial de l’enseignement agricole et ses enjeux sur les curricula, les pratiques d’enseignement et les situations d’apprentissage. L’enseignement agricole a, en effet, toujours mis l’accent sur cette dimension territoriale de ses formations (agricoles ou non), en la considérant comme un support privilégié de construction de connaissances et d’engagement des jeunes, en particulier dans le cadre de l’enseignement de l’éducation socioculturelle (Dussutour, 2002). La dimension territoriale a permis aux formations professionnelles délivrées dans l’enseignement agricole de se singulariser de celles dispensées dans l’enseignement professionnel. Par exemple, pour justifier, en 2011, du maintien d’un baccalauréat professionnel dans la filière des services aux personnes, le bac pro SAPAT (services aux personnes et aux territoires), parallèle à celui proposé par l’Education nationale, l’accent a été mis sur sa dimension territoriale de manière à se différencier du bac pro ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne).
Les recherches réalisées sur les publics de la principale filière féminine de l’enseignement agricole, celle des services aux personnes (Caniou, 1981 ; Orange, Renard, 2022), montrent que l’ancrage territorial a toujours été un enjeu majeur dans cette filière. En effet, l’objectif de cette filière était de maintenir les femmes à la terre dans un contexte marqué par la fuite des femmes hors du milieu rural à la recherche d’un emploi salarié en ville (Caniou, 1981). A travers leur spécialisation dans cette filière, il s’agissait de leur attribuer un rôle d’animation des territoires ruraux et d’entretien des relations sociales qui visait à les enraciner dans l’espace rural. Comment les publics féminins de l’enseignement agricole, et plus particulièrement les filles formées dans la filière des services aux personnes, s’approprient-elles aujourd’hui ces rôles ? Quels sont les effets de leur passage dans cette filière de l’enseignement agricole sur leur rapport au territoire ? Les contributions pourront, par exemple, mobiliser la comparaison avec des diplômes de la filière des services aux personnes pour répondre à ces interrogations.
Ce terme de territoire, aux contours flous et ambiguës, est d’ailleurs présent dans tous les cursus de formation de l’enseignement agricole. Associé à des objectifs mais aussi à des référentiels et invitant à des études de développement local, le terme de territoire renvoie à une « mission » de l’enseignement agricole. Dès la création des établissements d’enseignement agricole public, cette fonction de développement local est allouée aux établissements (Le Clanche, 2015). En effet, ceux-ci ne jouent pas seulement un rôle de formation initiale mais s’adressent plus largement à la profession, à travers la mise en œuvre de formations pour les adultes et l’ouverture d’actions de vulgarisation de progrès en agriculture. L’enseignement socioculturel, s’inscrit dans cet objectif d’ouverture des lycées aux milieux locaux et engage la participation des établissements à l’animation de ces milieux. L’autonomie laissée aux établissements, renforcée par la rénovation pédagogique conduite en 1984, permet désormais la création de modules d’adaptation locale dans les programmes de formation, incitant à la mise en œuvre d’approches pluridisciplinaires comme nous l’avons souligné plus haut. En effet, la loi du 9 juillet 1984 portant rénovation de l’enseignement agricole public donne aux établissements une mission d’animation rurale et de développement. Comment les personnels de formation de l’enseignement agricole mettent-ils en œuvre cet ancrage territorial dans les formations agricoles ou non ? Face aux transformations de la nature des profils sociologiques de leurs publics, qui sont de moins en moins agricoles (Benet Rivière, Moreau, 2020) et au développement de nouveaux usages des espaces ruraux (touristique, récréatif et résidentiel), comment cette relation entre l’enseignement agricole et « le territoire » évolue-t-elle ? La réalisation d’un diagnostic de territoire est devenue un exercice central dans de nombreuses formations de l’enseignement agricole. Comment les agents de formation mobilisent-ils cette analyse territoriale et y associent-ils des partenaires extérieurs aux établissements de formation ? Quels sont les effets de l’analyse territoriale sur les publics et leurs rapports à l’espace local en fonction de leur degré d’implication dans les formations et dans les filières au sein desquelles ils ont été formés ?
Modalités de soumission
Les articles (40 000 signes) et notes de recherche (20 000 à 30 0000 signes) respectant les recommandations aux auteurs de la revue sont attendus complets à norois chez uhb.fr avec en copie joachim.benet01 chez univ-poitiers.fr avant le 1er février 2023.
Comité de rédaction de Norois : Laure Cormier, CITERES UMR 7324, Université de Tours et Michaël Bermond, UMR 6590 ESO, Université de Caen.
Références
Asloum Nina, Bedoussac Laurent, 2020, « Analyse des représentations sociales des enseignants.es du « produire autrement » vis-à-vis des directives ministérielles », Éducation relative à l’environnement, vol. 15, no. 2.
Aublin Sofie, 2008, « Le Réseau éducation à l’environnement pour un développement durable de l’enseignement agricole », Pour, no. 198, vol. 3, pp. 188-192.
Benet Rivière Joachim, Moreau Gilles, 2020, « Introduction. L’enseignement agricole, une mosaïque en recomposition », Formation emploi, vol. 151, pp. 7-22.
Bon Séverine, Panissal Nathalie, 2019, « Tensions identitaires d’enseignants d’éducation socio-culturelle au sein d’une transition sociétale et agroécologique », Éducation et socialisation, vol. 54.
Caniou Janine, 1981, L’enseignement agricole féminin. De la fin du XIXe siècle à nos jours, thèse sous la direction de Viviane Isambert-Jamati, Université Paris V.
Chrétien Fanny, 2013, « Les conceptions de la nature et du vivant : quelles places ont-elles dans les espaces d’apprentissage agricole ? », Pour, vol. 219, no. 3, pp. 131-140.
Christen Guillaume, 2017, « Vers une écologisation des pratiques agricoles : Déplacement social et crise d’identité chez les jeunes en formation agricole », Regards sociologiques, n° 50-51, pp. 111-131.
David Marie, 2019, « Transition agroécologique et transmission de savoirs professionnels », Revue des sciences sociales, vol. 62, pp. 41-32.
Dussutour Laurent, 2002,« La construction pédagogique du territoire. Apprentissage des réalités locales et amnésie du politique dans l’enseignement agricole », Ruralia, vol. 10/11.
Gaborieau Isabelle, 2021, « Comprendre le travail d’enseignants pour accompagner ses transformations dans l’enseignement agricole français », TransFormations, no. 22, vol . 2, pp. 46-59.
Gracia Jean-Claude, 2018, Variations pédagogiques pour une formation à l’agroécologique : l’exploitation du lycée agricole, lieu de la conduite d’essais, pour l’accompagnement du changement agroécologique, Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Toulouse, Université Jean-Jaurès, 359 p.
Le Clanche Jean-François., 2015, « Enseigner le territoire : 40 années d’expérience au sein de l’enseignement agricole », Pour, n° 228, pp. 209-215.
Métral Jean-François, et al. 2016, « Ruptures ou ajustements provoqués entre pratiques agricoles et enseignement de ces pratiques. Implantation et gouvernance de la réforme « Produire autrement » », Formation emploi, vol. 135, no. 3, pp. 53-74.
Morin Jean-Marie, Minaud Bertrand, 2015, « L’agriculture biologique dans l’enseignement agricole. Panorama, freins et leviers », Pour, vol. 227, n°3, pp. 207-215.
Orange Sophie, Renard Fanny, 2022, Des femmes qui tiennent la campagne, La Dispute.
Note
[1] Pour le cas français, l’enseignement agricole regroupe un enseignement secondaire public, privé et associatif (de la classe de quatrième au brevet de technicien supérieur agricole) formant des apprentis, des élèves et des étudiants à des métiers de l’agriculture (productions agricoles, horticoles et aquacoles, les activités hippiques, l’élevage et le soin des animaux de compagnie, les équipements pour l’agriculture, la viticulture/œnologie) et des métiers dans d’autres secteurs professionnels (l’aménagement et le paysage, la transformation agroalimentaire, les services aux personnes et le commerce). L’enseignement agricole secondaire comprend également un enseignement général (notamment un baccalauréat général avec les spécialités biologie-écologie, mathématiques et physique-chimie) et des formations de niveau 4 qui s’inscrivent dans le plan de lutte contre le décrochage scolaire (classes de quatrième et de troisième). L’enseignement agricole supérieur fait partie intégrante de ce système et regroupe des établissements publics dont Agro Paris Tech, l’institut Agro et des écoles nationales vétérinaires et de sciences agronomiques et des établissements privés comme l’école supérieure d’agriculture d’Angers et l’école d’ingénieurs de Purpan.
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