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Appel
Date limite de soumission : dimanche 31 juillet 2022
Parler d’« Ethnologies militaires », c’est spontanément et dans un premier temps situer le propos autour de questions méthodologiques, sur des enjeux et problématiques de terrain. Si le colloque n’y échappera pas, il ambitionne avant tout d’élargir l’approche et de dépasser le stade de la seule ethnographie. Comme dans toute discipline, un regard réflexif sur la pratique de ses chercheurs est en effet toujours indispensable ; il doit être mené de manière régulière en vue de saisir ce qui, dans ce domaine, relève de tendances en cours, de ruptures et d’évolutions par rapport, notamment, à des logiques antérieures.
Axées sur le milieu militaire au sens large du terme, les communications des anthropologues, ethnologues, sociologues et autres chercheurs en sciences sociales, français et étrangers, permettront ainsi d’exposer au cours des deux journées les spécificités de leur rencontre avec les acteurs en uniforme : les enjeux inhérents à l’accès aux terrains, ceux des postures de recherche possibles et adoptées, les problématiques rencontrées avant, pendant et à l’issue de la recherche, en incluant le stade de la diffusion des travaux, etc. Pour autant, ces caractéristiques ne seront que des éléments destinés à questionner plus profondément les thématiques suivantes, qui alimenteront les axes et sessions du colloque.
Axe 1 : les liens entre l’ethnologie et les forces armées
L’ambivalence des rapports entre les scientifiques et ceux en charge de diffuser une foi et une religion ou l’usage instrumental des données du missionnaire ethnographe ont, tour à tour, suscité vives critiques et louanges. Quand Malinowski dénonce « ces hommes de Dieu qui privent les païens de leurs raisons de vivre en détruisant leurs objets de culte »[1], Rivet leur reconnaît « une plus grande familiarité avec la parole et la vie matérielle indigènes »[2].
Si comparaison n’est pas raison, les relations entre anthropologues et militaires peuvent, de la même manière, faire l’objet de tels questionnements, car s’inscrivant dans des contextes plus ou moins marquants pour tous les protagonistes. Longtemps accusée d’être née « d’une ère de la violence »[3] et du fait colonial, l’anthropologie a indiscutablement entretenu des liens complexes avec les pouvoirs politiques et militaires en action au cours de ces périodes[4] et dans l’optique de la constitution d’un savoir ; la guerre d’Algérie semblant porter un coup d’arrêt à cette collaboration ancienne.
« Péché originel » pour certains en raison d’un usage de la connaissance produite et de la mise en place d’une ethnologie impliquée et appliquée qui peut faire vaciller les positionnements savant et politique des scientifiques[5] ; illustration d’un intérêt potentiel d’une connaissance scientifique pour d’autres, les rapports entre l’ethnologie et l’institution militaire ne sont pas sans soulever de nombreux problèmes. Les interrogations posées par Leiris à ses collègues en 1950[6] peuvent encore se décliner et se compléter aujourd’hui :
Comment s’articulent l’expérience ethnographique et les responsabilités de l’anthropologue vis-à-vis des Forces Armées ?
Comment les acteurs militaires perçoivent-ils les ethnologues et les chercheurs issus des sciences sociales en général ?
Comment les ethnologues assument-ils leur implication dans le système militaire ?
Quid des « ethnologues en uniforme », dont la position pourrait être rapprochée des officiers coloniaux de l’époque, qui produisaient des carnets ?
Quel est l’intérêt de regarder les questions militaires au prisme de l’anthropologie ?
Quelles sont les relations avec les autres domaines des sciences sociales ?
D’où vient véritablement l’affaiblissement de la collaboration entre ethnologues et militaires et peut-on aujourd’hui revisiter ces liens ?
Quelles connaissances ont été produites ? Et en quoi ont-elles ou non été exploitées par les militaires ?
Que sait-on de cette collaboration dans d’autres pays (on pense par exemple aux anthropologues embarqués et au dispositif HTS, Human Terrain System[7], déployé il y a quelques années par l’armée américaine) ? [...].
Ainsi, même si les chercheurs enquêtant en milieu militaire constituent une population restreinte, l’idée de ce premier axe est d’amener à éclairer, à partir notamment de cas et de travaux concrets, toutes ces questions sur les relations passées et actuelles entre les armées et l’ethnologie (ainsi que l’ensemble des sciences sociales et humaines déployant des méthodologies d’enquêtes similaires) ; sur la manière dont l’ethnologue s’accommode de l’usage éventuel de sa production scientifique par les acteurs militaires ; sur la façon dont il espère cet emploi et fait tout pour qu’il devienne effectif ; sur, au contraire, les difficultés à négocier ce passage d’une connaissance produite à une exploitation pratique des acteurs militaires.
Cet enjeu de la reconnaissance de l’utilité de la connaissance scientifique se pose pour tout chercheur œuvrant au sein d’une institution, quelle qu’elle soit. Toutefois, en raison de sa spécificité, l’Armée – parfois abordée comme une institution totale ou disciplinaire[8], à la suite des travaux d’Erving Goffman et de Michel Foucault - peut potentiellement être moins encline à laisser analyser et à voir remettre en cause son fonctionnement par des chercheurs ou encore à ne pas accorder de reconnaissance à la connaissance produite.
Au niveau de la communauté scientifique, il sera intéressant également de questionner la réception de tels travaux et collaborations, la reconnaissance ou non de l’objet et les controverses éventuelles qui peuvent en découler.
L’axe 1 illustre la manière dont, conjoncturellement et dans des contextes singuliers, une discipline scientifique et les travaux produits peuvent servir un projet précis. Il permet, à ce titre, de développer bon nombre de questionnements d’ordre général (conceptuel, éthique, utilitaire, etc.).
Axe 2 : Temporalités, espaces, diversités et approches contemporaines
Si l’axe 1 invite à une réflexion d’ordre plus général et conceptuel – voire historique et épistémologique – sur des postures, le second invite quant à lui à exposer plus en détail des productions scientifiques réalisées, en cours ou présentant une dimension exploratoire.
Les contributeurs pourraient, à ce titre, investir la notion de temporalité[9] en interrogeant les deux temps – ordinaire et opérationnel – qui caractérisent classiquement toute organisation militaire. En effet, quelles que soient les dimensions analysées (institutionnelle, structurelle, organisationnelle, fonctionnelle, culturelle…) le temps ordinaire (généralement associé au temps de « paix » même si cette association nous semble pour le moins restrictive) se distingue du temps opérationnel (qui ne comprend pas seulement l’activité combattante mais une diversité de fonctions). Pour chacune de ces périodes, se déclinent en effet des logiques propres à tous les niveaux préalablement cités ; il en résulte, de fait, des caractéristiques pour celui ou celle qui ambitionne de les étudier dans le cadre qui nous intéresse.
Les enjeux d’approche des terrains et des difficultés rencontrées peuvent alimenter les débats tant l’accès aux théâtres d’opération est difficile pour les chercheurs français, comparé à celui de certains collègues étrangers. Face à ces difficultés d’accès aux données et aux acteurs, les contributeurs veilleront à exposer les stratégies déployées et les moyens mis en œuvre en vue de surmonter les épreuves et de repousser les limites rencontrées (travailler sur des sources nouvelles : le courrier des soldats, les contenus des réseaux sociaux, etc.). Les contributions pourront notamment s’attacher à décrypter concrètement comment le passage d’une temporalité à l’autre impacte la pratique du chercheur.
La question de la temporalité introduit également une dimension structurante temps/espace[10] qui peut être explorée ; on pense tout particulièrement et à titre d’exemple à la temporalité dans le cyber espace ou encore aux diverses temporalités qui peuvent s’exprimer lors d’affrontements sur des théâtres d’opérations.
Les notions de genre et plus largement de diversité socioculturelle ou encore de rapports sociaux de classe pourraient constituer d’autres entrées possibles ; tant par le sexe ou le genre du scientifique (ce que le profil du chercheur ou de la chercheure engendre comme particularités dans le cadre du travail d’enquête et au cours des interactions avec les enquêtés)[11] que sur la façon dont le fait de travailler sur les questions de genre/diversité peut impacter la pratique du chercheur.
Cet axe appelle tout autant à faire connaître des champs novateurs (champs immatériels, domaine cyber, emploi de technologies particulières, etc.) que sur l’approche d’unités militaires singulières et peu ou pas abordées par le passé et bien sûr de la vie des personnels en uniforme au sein des bases, casernes, navires et en lien avec les territoires et l’identité de ceux-ci.
Quelles sont les questions récurrentes traitées par les enquêtes anthropologiques sur les forces armées ?
Quelles ont été ou sont les évolutions relatives à ces centres d’intérêt ? L’institution militaire exprime-t-elle des attentes spécifiques ?
Quel est le niveau d’intervention des acteurs militaires dans la réalisation, le déroulement d’une étude et le stade de sa diffusion ? Etc.
A travers la pluralité de ces questionnements et domaines, les contributions au sein de cet axe 2 pourraient ainsi permettre d’établir des ponts avec d’autres disciplines, notamment la sociologie et les sciences de gestion.
La forme du colloque sera hybride, conjuguant mode présentiel et mode distanciel.
Modalités de soumission des propositions et calendrier :
Les propositions, d’une longueur de 3000 à 5000 signes espaces compris, accompagnées d’une bibliographie indicative ainsi que des titres, fonctions et appartenances institutionnelles de leur(s) auteur(s), devront être envoyées le 31 juillet 2022 au plus tard, à celine.bryon-portet chez univ-montp3.fr et claude.weber chez st-cyr.terre-net.defen...
Les propositions seront évaluées en double aveugle par des membres du comité scientifique, qui livrera le résultat de ses expertises début septembre.
Une publication des actes est prévue à l’issue du colloque, après évaluation des versions définitives des textes.
Comité d’organisation : Céline Bryon-Portet (professeur des universités, université Paul Valéry – Montpellier 3) et Claude Weber (maître de conférences, Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan)
Coordinatrice SEF : Audrey Higelin (Université Paris Nanterre, SEF)
Comité scientifique : Céline Bryon-Portet (Université Paul Valéry – Montpellier 3, SEF), Didier Danet (Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan), Said Haddad (Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan), Audrey Higelin (Université Paris Nanterre, SEF), Jean-Vincent Holeindre (Université Paris 2 Panthéon-Assas), Sébastien Jakubowski (Université de Lille), René Moelker (Netherlands Defence Academy), Anne Monjaret (CNRS, SEF), Caroline Moricot (Université Paris – Dauphine), André Thiéblemont (Colonel en retraite de l’Armée de Terre), Maren Tomforde (Staff College Hamburg), Claude Weber (Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan)
Bibliographie indicative
• Balandier Georges, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, n°11, 1951, p.44-79.
• Bryon-Portet Céline, « La tension au coeur de la recherche anthropologique. La dialectique intérieur/extérieur, théorie/pratique, une nécessité pour l’étude des institutions fermées », Anthropologie et Sociétés, vol. 35, n°3, 2011, p.209–231.
• Carreiras Helena, Castro Celso and Frederic Sabina (édited by), Researching the Military, Routledge, 2016.
• Coton Christel, Officiers. Des classes en lutte sous l’uniforme, Marseille, Agone, 2017.
• Coton Christel, « Classer la sociologue, déclasser les pairs. Pratiques et registres de distinction en terrain militaire », Genèses, 2018/1, n°110, p.133-148.
• Deschaux-Beaume Delphine, « Enquêter en milieu militaire. Stratégie qualitative et conduite d’entretiens dans le domaine de la défense », Res Militaris, vol. 1, n°2, 2011.
• Deschaux-Beaume Delphine (ed), Research methods in Defence Studies – A Multidisciplinary Overview, Routledge, 2020.
• Dufoulon Serge, Jean Saglio et Pascale Trompette, « Marins et sociologues
à bord du Georges Leygues, interactions de recherche », Sociologie du travail, vol. 41, n°1, 1999, p.5-22.
• Dufoulon Serge, Jean Saglio et Pascale Trompette, Les gars de la marine : ethnographie d’un navire de guerre, Paris, Métailié, 1998.
• Fouilleul Nicole, Entre professionnalité traditionnelle et professionnalisation en cours : la cohésion dans les Troupes de Marine, Les Cahiers du C2SD, n°44, 2001
• Jankowski Barbara et Pascal Vennesson, « Les sciences sociales au ministère de la Défense : inventer, négocier et promouvoir un rôle », in Bezes Philippe et alii. (dir.), L’État à l’épreuve des sciences sociales. La fonction de recherche dans les administrations sous la Vème République, Paris, La Découverte, 2005.
• Lafaye Christophe, Alicia Paya y Pastor et Mathias Thura (dir.) , « La pratique des sciences sociales en milieu militaire : Une opération spéciale ? », Les Champs de Mars, 2015/2, n°27, p.67-81.
• Moricot Caroline, Agir à distance. Enquête sur la délocalisation du geste technique, Paris, Classiques Garnier, 2020.
• Pajon Christophe, « Le sociologue enrégimenté : méthodes et techniques d’enquête en milieu militaire », in François Gresle (dir.), Sociologie du milieu militaire, Paris, L’Harmattan, 2005, p.45-56.
• Teboul Jeanne, Le Corps combattant. La production du soldat, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2017.
• Thiéblemont André, « Les militaires sous le regard ethnographique », Revue Défense Nationale, n°6, 1983, p.73-87.
• Thiéblemont André (dir.), Cultures et logiques militaires, Paris, PUF, 1999, p.30-33 (« L’observation de l’intérieur »).
• Traimond Bernard (dir.), « L’ethnologie indigène », Cahiers ethnologiques, n°18, 1996.
• Weber Claude, « Ethnographie en milieu militaire », Cahiers de publications doctorales de l’université de Strasbourg, n°2, 2001, p.79-91.
• Weber Claude, A genou les hommes... Debout les officiers - La socialisation des Saint-Cyriens, Presses Universitaires de Rennes, collection « Essais », 2012.
[1] Bronislaw Malinowski, Journal d’ethnographe, Paris, Seuil, 1985.
[2] André Mary & Gaetano Ciarcia (dir.), Ethnologie en situation missionnaire, Les Carnets de Bérose n°12, 2019.
[3] Claude Lévi-Strauss, 1996 [1960]. « Le champ de l’anthropologie », in Anthropologie structurale II, Paris, Pocket, p. 11-44.
[4] Christine Laurière & André Mary (dir.), Ethnologues en situations coloniales, Les Carnets de Bérose n°11, Paris, Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, 2019.
[5] Jolly Eric, « Ethnologie de sauvegarde et politique coloniale : les engagements de Marcel Griaule », Journal des Africanistes, 2019, t. 89, fasc. 1, p. 8-31.
[6] de Suremain Marie-Albane, « Faire du terrain en AOF dans les années cinquante », Ethnologie française, 2004/4 (Vol. 34), p. 651-659.
[7] Julien Bonhomme, « Anthropologues embarqués », 2007. https://laviedesidees.fr/Anthropologues-embarques.html
[8] Colloque Ethnographies plurielles #11- Société d’ethnologie française : Institutions totales - Évolutions et usages du concept au XXIe siècle – Campus Condorcet Aubervilliers – 29 et 30 novembre 2021.
[9] Sur ces problématiques, voir les travaux de M. Bessin avec notamment : Grossetti, Michel, Marc Bessin, et Claire Bidart. Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement. La Découverte, 2009.
[10] Caroline Moricot, Agir à distance. Enquête sur la délocalisation du geste technique, Paris, Classiques Garnier, 2020.
[11] Anne Monjaret, Catherine Pugeault (dir.), Le sexe de l’enquête. Approches sociologiques et anthropologiques, Lyon, ENS éditions, coll. « Sociétés, Espaces, Temps », 2014.
Colloque
17-18 novembre 2022 (Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne)
Colloque, co organisé par la Société d’Ethnologie Française et l’Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, dans le cycle des Ethnographies plurielles de la SEF dont il est le 12e opus
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