Pour écouter l’émission // Affinités électives : Trésors du Quai d’Orsay : une ode photographique à la diversité du monde : Entretien avec l’écrivain Marc Lambron et l’historien Jean-Philippe Dumas

« Entre 1860 et 1920, des photographes accrédités, puis des diplomates eux-mêmes, vont entreprendre de consigner la chronique visuelle de leurs pérégrinations, de leurs explorations, de leurs missions. Ces tendres stocks auront pour destination l’administration centrale du ministère, mais aussi les albums de famille, certains legs opportuns ramenant souvent vers les bureaux du Quai d’Orsay des fonds que l’on croyait perdus dans les greniers de Castelnaudary ou Barbezieux. C’est cette archive diffractée, tentaculaire, porteuse d’une grande poésie, qui se voit aujourd’hui exhumée dans un album de singulières images.
Que découvre-t-on ? Avec en arrière-fond l’apparat de la vieille Carrière - paquebots, résidences, bals, cols cassés et cartons cornés -, émergent sous nos yeux de stupéfiants carnets de civilisations, de magnifiques relevés d’altérité. Voici des mousmés en kimono, et des janissaires à babouches, des palanquins et des mihrabs, des mandarins à la Fu Manchu et des cavaliers de rezzous, des steamers et des trains, des canyons profonds et des temples de jungle, de farouches guerriers qui fourniront bientôt les tirailleurs de Gallieni ou les guérilleros de T. E. Lawrence, l’ensemble inaugurant une esthétique spontanée qui annonce l’ère de la carte postale autant que les clichés interrogateurs de la photographie humaniste.
On sent chez ces diplomates des regards à la fois maîtrisés et débordés. Maîtrisés parce qu’il s’agit d’ordonner en albums raisonnés la profusion des différences. Débordés, car ces exotismes infusent un envoûtement qui porte à la séduction – étymologiquement, ce qui nous fait sortir du droit chemin. Chez un photographe de la chancellerie, la pétition de la supériorité peut être déjouée par les émerveillements de la surprise. »