mercredi 14 septembre 2011
En avril 1921, dans un bien piteux état de santé, le directeur de l’Enseignement au Cambodge effectue la traversée depuis l’Indochine vers Marseille. En août, il se rend à la station thermale de Plombières pour un congé de convalescence. Là, le médecin, non content de prodiguer d’intenses soins, exige également que le patient revienne à la station l’année suivante.
L’intéressé, un certain Henri Donnadieu, formule par la suite une demande de remboursement de ses frais de voyage vers la station– frais, accompagnés d’un per diem– auxquels avaient droit les fonctionnaires coloniaux partis en cure. D’après ses médecins l’homme est atteint d’une grave « entéro colite muqueuse chronique consécutive à la dysenterie contractée en Indochine. » Cette maladie aurait entraîné d’une part une congestion hépatique, et d’autre part, une grave anémie. Sa fille affirmera plus tard que l’alcool n’était pas étranger à certains de ces problèmes. Nonobstant ce penchant réputé pour l’alcool en milieu colonial, c’est au climat, à l’Indochine, que l’on attribuait ces maux. On disait à l’époque que l’on souffrait du foie colonial, ou encore de la colonie, ou de « colonialite. » Quelques semaines avant de s’éteindre, en décembre, l’homme décide curieusement de se porter acquéreur d’une propriété dans l’Entre-Deux-Mers. Ce n’est que six ans après sa mort, que sa veuve, Marie Donnadieu va recevoir la documentation nécessaire pour hériter de la pension d’invalidité de son époux défunt. C’est le traumatisme qui servira de base à plusieurs des romans de la fille du patient colonial défunt, Marguerite Duras.
Henri Donnadieu était loin d’être seul dans son cas. Son tragique et vain voyage de retour en France s’inscrit en réalité dans une bien plus vaste transhumance coloniale, transhumance encadrée par un véritable dispositif administratif et scientifique. En mettant au jour les multiples interrogations sur la possibilité même pour l’Européen de voyager indemne sous les tropiques au xixe et même au xxe siècle, en soulignant les hantises engendrées par les climats chauds, et surtout en faisant ressortir les nombreux rituels thermaux élaborés dans le but de survivre à la colonie, cet ouvrage illustre l’anti-voyage. Ce dernier prit plusieurs formes, notamment le clonage d’une structure thermale, et de villes thermales outre-mer. Ce livre s’appuie sur des archives consultées sur quatre continents pour retracer le lien étroit, pourtant resté largement occulté jusqu’ici, entre colonisation française et thermalisme. En effet, dès le xixe siècle, le thermalisme combiné au climatisme, est apparu en France comme un moyen d’enrayer les taux de mortalité élevés dans les pays chauds, mais aussi de « ressourcer » les coloniaux, soit par des cures thermales dans des « Vichys » malgaches, réunionnais, antillais, tunisiens etc., soit en rapatriant les coloniaux vers des villes d’eaux métropolitaines. Cette pratique entraîna un impressionnant système de rapatriements, permissions, et congés sanitaires, dont celui, certes peu concluant, dont avait joui Henri Donnadieu.
L’ouvrage conjugue l’histoire de la médecine, des pratiques coloniales, des mentalités, des sciences et de l’administration, et s’intéresse à plusieurs cas d’études : la Guadeloupe (Dolé-les-Bains, la Ravine chaude, notamment), la Réunion (Cilaos, Salazie), Madagascar (Antsirabe), la Tunisie (Korbous), ainsi que trois stations métropolitaines : Vals-les-Bains, Encausse-les-Thermes, et Vichy.
Pour plus d’informations, consultez la notice de l’ouvrage sur le site des PUR (sommaire, téléchargement de l’introduction, etc.)
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